Les bolides de la drogue

Dernière mise à jour le 26/07/2016

Comment la police essaye de stopper les Go Fast…

Source : http://www.liberation.fr/grand-angle/010189039-les-bolides-de-la-drogue
Date : 11/09/2008

Pour stopper les Go Fast, ces pros du voyage de stupéfiants qui
sillonnent l’Europe à vive allure, la gendarmerie a sorti le grand jeu.
Parfois des réseaux tombent…

«On y va et on fonce.» Jamal, petit trafiquant de
drogue à Tanger, résume sa méthode de livraison. En voiture, pied au
plancher sur l’autoroute à travers l’Espagne et la France. Cela
s’appelle un Go Fast, littéralement un «va vite». Dans les
Caraïbes, les trafiquants utilisent des hors-bord très rapides ; en
Europe, leurs homologues se servent de grosses cylindrées. «Depuis
le début des années 2000, c’est le moyen le plus sûr d’amener des
cargaisons, poursuit Jamal. Au début, il n’y avait qu’une voiture.
Depuis, ça s’est organisé en convoi. Ça sert beaucoup pour l’herbe,
mais aussi pour la cocaïne. On a piqué l’idée aux contrebandiers de
cigarettes des Caraïbes. Mais les flics deviennent plus durs : il va
falloir changer. Les gros se mettent à utiliser des hélicos. Nous, les
petits, on en reste aux bagnoles
.»

En
France, c’est essentiellement la gendarmerie nationale qui traque les
Go Fast de la drogue, en y mettant les gros moyens. Le Groupe
d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) est ainsi
régulièrement engagé dans la lutte contre ces bolides qui roulent à
plus de 200 kilomètres à l’heure, sans s’arrêter aux barrages. Une
course-poursuite qui paye, même si on ignore combien de convois passent
sans se faire prendre. Depuis le début de l’année, quatre Go Fast ont
été arrêtés. Ils transportaient 16 kilos d’héroïne, 11 kilos de cocaïne
et 1,5 tonne de cannabis. Des prises estimées à plus de 3 millions
d’euros. L’an passé, vingt-deux convois ont ainsi été stoppés. Butin :
5,1 tonnes de came, selon l’Office central de répression des
stupéfiants.

Un mulet et des abeilles

Le
phénomène s’est vraiment développé au milieu des années 2000, pour
convoyer la drogue du Maroc et de Hollande jusqu’aux portes des cités
qui la revendent. Ces convois sont composés de la voiture «mulet», qui
transporte la marchandise, précédée d’une «ouvreuse», qui vérifie le
trajet, et d’une «suiveuse», qui ferme le dispositif. Parfois, plus en
amont, passent des «abeilles», véhicules chargés de repérer tout ce qui
peut gêner l’avancée du convoi (contrôles de vitesse, brigades de
douanes.).

Les voitures utilisées sont de
grosses cylindrées, très rapides. Des Porsche Cayenne, des 4×4 ML, des
Citroën C5, dont la suspension permet de supporter de lourdes charges.
Des voitures volées ? «Parfois mais pas toujours. Ils ont maintenant les moyens de se les payer»,
précise le chef Calderini, enquêteur au groupe de répression du trafic
des stupéfiants d’Orléans (Loiret). Elles sont achetées par des
prête-noms, souvent les petites amies des trafiquants, puis munies de
fausses plaques mais qui correspondent à une vraie voiture de même type
et de même marque. Ce que, dans le jargon, on appelle une «doublette».
De plus en plus, elles sont équipées de doubles vitrages et de
réservoirs additionnels, qui leur évitent l’arrêt à la station-service.
Un V6 All Road peut ainsi s’offrir une autonomie de 700 à
800 kilomètres.

Au volant, des pros du convoyage, formés à la conduite tout terrain, certains dans les rodéos urbains des banlieues. «Soit
ils appartiennent à une grosse organisation, qui a plusieurs équipes,
soit ils sont indépendants et se louent au plus offrant»
, explique Laurent T., responsable de la cellule évaluation des opérations du GIGN. Non sans risques.
«Ils sont responsables de leur cargaison et de ce qui peut lui arriver.
C’est pour ça qu’ils tentent de s’échapper. Leurs familles restent
otages des trafiquants, et c’est sur elles qu’ils font pression.»

Le système est cloisonné : les chauffeurs ne savent pas qui est le
suiveur, et il arrive qu’ils changent en cours de route sans savoir non
plus qui les remplace. Ils communiquent par téléphones portables non
traçables, aux puces jetables à l’arrivée. Parfois, ils sont armés.

Western à la pompe

Il y a là matière à scénario de polar et le cinéma ne s’y est pas trompé. Go Fast d’Olivier
Van Hoofstadt sort sur les écrans le 1er octobre. Il raconte
l’infiltration d’un gang par un flic incarné par Roschdy Zem. «Il faut éviter tout romanesque, réagit le colonel de gendarmerie Marc de Tarlé. Ces
types sont des voyous qui ne pensent qu’à l’argent facile. Ils
travaillent quelques années, gagnent beaucoup et se retirent.»

Le
colonel de Tarlé dirige la section de recherche (SR) d’Orléans, à
l’origine d’un gros coup de filet près de Bordeaux, en 2006. Une Audi,
chargée de 440 kilos de cannabis. La SR était sur le coup depuis des
mois. Des informations sur la baisse d’un stock local de came
permettaient de prévoir à peu près la date de passage du convoi, et de
filer les voitures. «Quand on a eu la certitude d’un passage, et la possibilité de faire tomber le réseau, on y est allé»,
raconte l’officier. L’opération tourne au western lorsque la voiture
s’arrête pour faire le plein à une station-service. Des gendarmes sont
là, en civil. Ils bondissent sur l’homme, à la pompe à essence, mais le
conducteur, qui n’a pas coupé le moteur, démarre en trombe, arrachant
le tuyau. A plus de 200 km/h, il fonce sur l’A 62 vers Bordeaux. Au
péage de Saint-Aubin-de-Blaye, il explose la barrière.

Les
gendarmes tirent sur la voiture des cartouches de gaz lacrymogène,
fracassant les vitres arrière. Le véhicule sera récupéré dans la nuit.
En panne, mais vidé de sa cargaison, que les gendarmes mettront trois
heures à retrouver. Le chauffeur, lui, sera coincé le long d’une voie
de chemin de fer par des maîtres-chiens. Terrorisé, il se rendra sans
faire d’histoires. L’enquête conduira à l’arrestation de deux frères,
officiellement gérants de sociétés, qui dirigeaient la bande. Ils
seront rattrapés, avec quatre hommes de main, dont le plus jeune avait
23 ans. Ils ont pris de six à dix ans de prison.

Herses et faux bouchons

La lutte contre les Go Fast nécessite une coordination des moyens de la gendarmerie au niveau national, voire européen. «Un Go Fast attrapé, c’est plusieurs mois d’enquête en amont,
confie le chef Calderini. Ainsi la prise, exceptionnelle, de 825 kilos
de cannabis, cette année, à un péage de Lyon (Rhône), a-t-elle
nécessité deux ans d’enquête, en collaboration avec la police
espagnole. «Notre but est de démanteler les réseaux et de faire tomber les commanditaires. Sinon, ce travail n’a aucun sens», dit le colonel Simon-Pierre Baradel à la direction générale de la gendarmerie. «Toute la difficulté, c’est de savoir quand intervenir, explique Laurent T. du GIGN. Il
faut avoir identifié et fractionné la rame, avoir des véhicules
banalisés qui puissent l’approcher, la coincer sur une route la moins
fréquentée possible, et pouvoir garantir l’arrestation sur une distance
courte pour ne pas mettre en danger les automobilistes.»

Pour
faire ralentir les voitures, seul moyen de les intercepter, les
gendarmes les attendent de préférence aux péages ou aux
stations-services, utilisant parfois des herses ou provoquant
volontairement des bouchons. Des blessés au cours des opérations ? «Jamais, affirme le chef d’escadron Frank C. du GIGN. Parfois, nous avons dû "pousser" des voitures. Il y a eu des gens choqués, mais jamais de blessés.»

Aux
Go Fast de la route pourraient désormais succéder les Go Fast de l’air.
Le 22 juin, le GIGN a réalisé une première en interceptant un
hélicoptère Ecureuil qui venait de livrer 560 kilos de cannabis en
provenance directe du Maroc. L’hélicoptère s’était posé dans une
clairière près de Saint-Nazaire-de-Ladarez, dans l’Hérault. Deux hommes
attendaient dans une Citroën C5 pour charger la marchandise avant de
prendre la route, en bons Go Fast. Alors que l’hélicoptère redécolle,
le GIGN intervient contre les trafiquants. Trente minutes plus tard,
les quatre passagers de l’hélicoptère sont arrêtés à leur tour. Parmi
eux, deux nationalistes corses, Gilbert Casanova et Jean-Pierre
Bernardini. Le réseau faisait deux livraisons par mois. L’enquête des
gendarmes a duré huit mois, après qu’un chasseur leur avait signalé la
présence incongrue d’un hélicoptère dans ce coin tranquille, où il
était à l’affût d’un lièvre. Comme le disait La Fontaine, «rien ne sert de courir.». photos MAT JACOB. Tendance floue.

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