Cocaïne: les joueurs de tennis se dopent-ils ou se droguent-ils?

Dernière mise à jour le 26/07/2016

Les sportifs sont comme tout le monde : ils prennent aussi des drogues pour s’amuser…

Date : 07/11/2007
Source : http://www.rue89.com/


Conférence de presse de la joueuse de tennis Martina Hingis (Miro Kuzmanovic/Reuters).

La tenniswoman Martina Hingis, ancienne numéro 1 mondiale, a révélé
le 1er novembre qu’elle avait été contrôlée positive à la cocaïne lors
du dernier Wimbledon. Elle n’est pas la première à avoir franchi la
ligne blanche, mais cette drogue, considérée comme récréative par
beaucoup, est-elle utile pour améliorer ses performances dans une
enceinte sportive?

La question se pose d’autant plus que les responsables de ce sport
ont longtemps expliqué qu’il était inutile de se doper pour gagner un
match. Dans la thèse de pharmacie qu’il a soutenue en 1972, Christian
Bimes, président de la Fédération française de tennis depuis 1993,
expliquait:

"Dans ce sport qui demande des qualités physiques
impressionnantes mais aussi une précision, une concentration, une
application et une science du jeu hors du commun, un dopage bénéfique
ne semble pas réalisable."

La Fédération internationale de tennis (FIT) réserve d’ailleurs un
traitement de faveur aux joueurs contrôlés positifs aux "drogues
sociales", telles le cannabis ou cocaïne: ces cas ne sont pas rendus
publics. La réalité du dopage est forcément sous-évaluée, d’autant
qu’en règle générale, les instances sportives rechignent rendre
publiques des affaires concernant des produits plus classiques.

En ce qui concerne la cocaïne, la petite balle jaune est loin d’être la seule concernée. La liste des sportifs
de haut niveau contrôlés positifs à la cocaïne depuis 2002 est
édifiante: dix-sept footballeurs, quatre rugbymen (dont les Français
Peter de Villiers et Benoît Tissot), mais aussi un marin, deux athlètes
handisports et un joueur de pétanque!

Dès le XVe siècle, les effets de la coca sur les performances sont connus

Certains, et parmi eux des médecins, ce qui est plus grave, tentent
de faire accréditer la thèse que l’usage de cocaïne n’a rien à voir
avec les performances ni avec l’éthique sportive. Ainsi, on peut lire
dans la presse médico-sportive: "Il est bien difficile d’établir un
rapport entre l’absorption de drogue et l’exploit sportif."

Une position qui va notamment à l’encontre des études historiques:
dès le XVe siècle, les effets de la feuille de coca (cocaïne) sur
l’aptitude du corps humain à accomplir des tâches difficiles, avaient
été signalés en Amérique du Sud. On peut lire dans les documents de
l’époque que 30 à 50 feuilles de coca donnaient à un Indien les forces
nécessaires pour marcher toute une journée sans temps morts et sans
besoin d’aliments.

Dans une revue de thérapeutique publiée en 1884, Beugnier-Corbeau racontait ainsi:

"Tout un peuple voyait dans la plante l’Esprit du Bien
et l’entourait d’une vénération superstitieuse. Elle était la promesse
de vie pour le moribond qui pouvait en boire la sève, un viatique
incomparable pour le voyageur dont elle trompait la faim, un cordial
pour réchauffer les sens engourdis par le froid des neiges et des
glaces."

Aux Six jours de Paris, les pistards tournent à la coco

Quelques années plus tard, avec l’organisation des Six jours de
Paris, vénérable compétition de cyclisme sur piste, la "coco" devient
le stimulant de base des "Ecureuils" (surnom des coureurs). Le docteur
Max Novich rapporte dans la revue Abbotempo:

"Les entraîneurs donnaient souvent à leurs poulains de
la cocaïne qui était la plus largement utilisée comme stimulant par les
cyclistes professionnels, mais son efficacité dépendait du dosage et de
la façon dont elle était administrée…"

La plupart des indications de la cocaïne, même à une époque plus
récente, sont orientées vers l’effort musculaire. Par exemple, un
médecin américain, Andrew T. Weil, qui a longtemps étudié l’utilisation
de la coca au Pérou et en Colombie, la recommande aux non-Indiens, dans
l’American Journal of Drug and Alcohol Abuse [1978, vol. 5, n° 1]. Il y
voit un stimulant pour les personnes qui font de gros efforts physiques
et pour certains athlètes.

La "cocada" sert à mesurer la distance que l’on peut parcourir
pendant la durée d’un mâcher. Lorsque Carter et Mamani ont demandé à
des Indiens pourquoi ils mâchaient de la coca, en leur offrant une
liste de réponses possibles, leurs réponses sont sans ambiguïté: 81%
ont répondu "pour travailler", 68% pour lutter contre le froid, 61%
pour voyager, 50% pour rester éveillé.

Tous les voyageurs qui ont eu l’occasion de connaître les Andes se
sont vus offrir à leur arrivée en altitude une infusion de coca,
beaucoup plus efficace que la Coramine-Glucose pour combattre le
"sorroche", mal des montagnes.

"La cocaïne, c’était comme une clé de contact pour le match"

La cocaïne qui a d’abord pénétré les sports d’endurance a ensuite
"contaminé" les sports de précision (comme le basket ou le baseball),
car elle a un effet désinhibant reconnu et améliore la confiance en
soi. Elle donne un sentiment de surpuissance, d’invulnérabilité.
L’athlète se sent invincible et tente des gestes sportifs qu’il
n’oserait pas faire en temps normal, évitant ainsi l’effet "petit
bras", qui retient, par exemple, un tennisman de lâcher ses coups.

Donc, la cocaïne a un effet sur l’appréhension de la difficulté, sur
la peur de mal faire, ce qui dans le cadre d’une compétition sportive
est un avantage plus que certain. L’absorption de cocaïne en tant que
dopant fait toujours partie en 2007 du soutien médicamenteux de
l’athlète d’élite, ou même de calibre inférieur. Le docteur Jo Mulé,
directeur des services antidopage de l’Etat de New York, explique:

"Normal qu’ils se laissent tenter, la coke déclenche et
stimule l’agressivité. Un athlète gui en prend avant un effort sent sur
le moment ses forces décuplées."

Cet effet hypervitalisant est parfaitement connu des sportifs de
compétition. Ainsi, le témoignage de Dale Berra, vedette du baseball
américain des années 1980, en apporte la preuve:

"Chaque fois que j’en prenais, je me sentais euphorique,
mes sens étaient aiguisés. Je me sentais invincible. C’était comme une
clé de contact pour le match."

Voici une liste des effets recherchés et espérés par les sportifs:

  • Accentuer l’acuité cérébrale afin de mieux percevoir et plus vite la lecture du jeu
  • Exalter vigilance et mémorisation
  • Stimuler l’humeur: euphorie
  • Ajuster les réflexes
  • Se sentir imbattable, invincible, pourvu de forces décuplées
  • Tous ces "avantages" sont obtenus pour une durée de vingt à quarante minutes après avoir reniflé une dose de cocaïne
  • Augmenter l’endurance sans viatique nutritionnel surajouté
  • En musculation, permet de mieux supporter les sensations
    douloureuses au cours des dernières répétitions des séries très
    intenses, ce qui aide le sportif à se dépasser. De plus, elle
    sensibilise les muscles à l’action du système nerveux, ce qui augmente
    la force.

Les contrôles ne distinguent pas la cocaïne "dopante" de la cocaïne "festive"

Dès la première liste rouge établie en 1966, les amphétamines
figuraient en tête des produits interdits dans le cadre des
compétitions sportives humaines. En 1971, la Commission médicale du
Comité international olympique (CM-CIO), prohibait à son tour la
cocaïne.

Justement, la cocaïne étant à la fois une drogue et un produit
classé dans la liste des substances dopantes, il est difficile de
savoir dans quel cadre l’a consommé tel sportif: volonté manifeste
d’améliorer ses performances sportives ou usage festif? D’un point de
vue éthique, faut-il établir une distinction entre ces deux formes
d’usage?

Il est bien sûr plus valorisant pour un athlète de plaider le
dérapage festif, pour son entourage ou sa fédération. Pour notre part,
nous n’établirons aucune distinction entre ces deux formes de
consommation. Il y a des règles qui sont connues de l’athlète qui
doivent être respectées.

Il est de toute façon impossible pour les instances de déterminer
dans quel cadre la consommation a eu lieu, les analyses d’urine ne font
pas la différence entre cocaïne dopante et cocaïne festive.

La cocaïne n’est pas le seule substance qui pose ce genre de
dilemme. C’est aussi le cas de l’alcool, si vous buvez un litre de
whisky, vous n’allez plus tenir debout et vous ne serez pas performant.
En revanche, si vous buvez une gorgée de cognac, comme le faisait la
joueuse de tennis Suzanne Lenglen, lauréate de six Roland-Garros et
autant de Wimbledon dans les années 20, le breuvage peut améliorer la
précision de votre geste! La dose est minime mais la conduite est
manifestement dopante.

Laisser un commentaire