L’absinthe, succès européen des nuits « underground »

Dernière mise à jour le 18/07/2016

Bien que légale, l’absinthe, a la même réputation sulfureuse que les produits illicites…

Source : Le Monde
Date : Article paru dans l’édition du 19.09.07.

Bannie
en 1915 par la législation française pour lutter contre le fléau de
l’alcoolisme, l’absinthe fait les belles nuits des bars et des
discothèques branchés d’Angleterre, d’Allemagne, des Pays-Bas ou de
Suède.

La résurrection de l’absinthe a été indirectement
permise par une directive européenne de 1988, qui tolérait la présence
de 35 mg de thuyone (cette molécule contenue dans la tige de la plante
absinthe) par litre dans les spiritueux. En France, elle reste une
boisson de niche. On ne la trouve que chez certains cavistes, dans
quelques épiceries fines et une poignée de bars rétro ou "hype".

Plus
sulfureuse qu’une liqueur, plus romantique qu’un pastis, la "fée verte"
vise l’"underground". Dans les bistrots de Prague, le sixième verre est
gratuit. "Der Phantom", "La Boheme Bitter Spirit", "Starorezna Devil"
ou "Hypnotic Absinthe" : autant de noms qui attirent les nouveaux
Verlaine, Pascin, Daumier.

"UNE COCHONNERIE"

La
clientèle pragoise, jeune, friande de sensations fortes, consomme une
absinthe à 75° fabriquée en République tchèque, embouteillée sitôt
sortie de l’alambic, sans le passage de trois semaines minimum en
foudre de chêne qui a la vertu d’"écrêter" les points d’alcool. "Cela n’a d’absinthe que le nom, affirme Marie-Claude Delahaye, biologiste et directrice du Musée de l’absinthe, à Auvers-sur-Oise (Val-d’Oise). J’ai goûté et recraché aussitôt : c’est une cochonnerie."

Pourtant,
cela plaît. Dès la "révolution de velours", au début des années 1990,
la République tchèque a renoué avec sa tradition de fabrication,
interdite sous le communisme. En dix ans, elle est devenue le premier
fabricant au monde. L’Espagne s’y est mise, qui produit une absinthe de
couleur rouge ou noire, très Movida. Dans les pays qui la refusent sur
leur territoire, comme les Etats-Unis ou l’Australie, les commandes
passées par Internet permettent de contourner la loi.

La mauvaise
réputation de la boisson verte, qui disait-on rendait fou, aveugle et
provoquait des convulsions, vient de la thuyone. Absorbée en excès (au
XIXe siècle, 1 litre en contenait 260 mg contre 35 mg autorisés
aujourd’hui) et, trop souvent, cette molécule peut provoquer des
désastres neurologiques. Les tests pratiqués au début du XIXe siècle
l’ont prouvé avec des injections répétées de thuyone directement dans
le foie d’animaux, chacune représentant l’équivalent de six apéritifs à
72° : si le foie était peu touché, les dommages cérébraux se
révélaient foudroyants.

DE 30 À 50 EUROS

Capitale
autoproclamée de l’absinthe, Pontarlier (Doubs) organise depuis cinq
ans ses Absinthiades (les prochaines ont lieu les 6 et 7 octobre) où, à
l’issue de dégustations à l’aveugle, un jury décerne sa Cuillère d’or.
La "François Guy" (45°) a été trois fois primée. Une quarantaine de
marques françaises se disputent le marché hexagonal et exportent
jusqu’au Japon. A noter, la "Libertine" à Fougerolles (55°), la
"Versinthe" d’Aix-en-Provence (45°) et la "Fée" de Green Utopia (68°), fabriquée à Paris. Leur prix varie de 30 à 50 euros la bouteille de
70 cl.

L’absinthe est aussi la bonne fée des chineurs : fontaines
à eau, cuillères, verres, bouteilles, grilles, brouille-absinthe,
affiches… les prix flambent. Il faut compter plusieurs milliers
d’euros pour une fontaine d’époque. Quant aux cuillères, elles sont
rares à moins de 30 euros. Pour savourer l’absinthe chez soi, mieux
vaut se rabattre sur des répliques.

+ d’info : www.heureverte.com

Dominique de Saint Pern

 

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