La drogue, oubliée de la campagne

Dernière mise à jour le 26/07/2016

Sous prétexte de prévention,le discours
sécuritaire entend combattre la toxicomanie mais
marginalise les toxicomanes.

Date :  18/04/2007
Lien : http://www.liberation.fr/rebonds/248269.FR.php
Source : Libération
Par Michel Hautefeuille et Marc Valleur docteurs au Centre médical Marmottan.


Un grand bond en arrière : c’est l’impression que
nous produit tant la campagne électorale actuelle
que la politique en matière de toxicomanies et
d’addictions. L’heure est aux discours
sécuritaires, et à la surenchère de postures
viriles, voire guerrières, contre les laxismes de
tous ordres. La rhétorique du muscle et les
solutions simplistes à des problèmes complexes
semblent devenir des ingrédients obligés de tous
les discours de campagne.

Ceci ne fait que couvrir un mouvement qui, sous
prétexte de prévention et de rééducation, est bel
et bien un retour aux temps de la chasse aux
déviants et aux marginaux, et de la guerre à la
drogue.

Rappelons-nous une époque pas si lointaine où
l’on avait le droit de dire qu’une société doit
se juger à la façon dont elle traite ses
marginaux, que la drogue et la toxicomanie sont
des questions éminemment politiques, auxquelles
il n’est guère de recette miracle, qu’il fallait
? parfois, pas toujours, pas n’importe comment ?
savoir lire la part de révolte, mais aussi de
quête et d’appel au secours dans les expressions
souvent violentes d’une jeunesse en quête de sens.

Ce genre de formule n’est certes pas «tendance»,
et il est plus «vendeur» d’appeler au retour de
l’autorité et de dénoncer tous les laisser-aller
issus de Mai 68. Mais, comme nous l’avions prévu
à l’époque, il est devenu évident que la
toxicomanie n’est que l’un des symptômes du
malaise des jeunes, et les banlieues en feu nous
ont rappelé que la misère, le désespoir mais
aussi l’absence de limites, de sens, de repères,
conduisent aussi à d’autres manifestations de
rage.

L’utilisation des boucs émissaires habituels, les
étrangers, les dealers ou les fumeurs de
cannabis, ne devrait plus pouvoir tenir lieu de
politique, et le débat devrait enfin s’ouvrir sur
une éventuelle réforme de la loi de 1970.

Il y a deux ans, le ministre de l’Intérieur avait
d’ailleurs proposé de réformer cette loi : ceci
en remplaçant par une amende la peine d’un an de
prison pour usage simple de cannabis, qui n’est
évidemment pas applicable, puisqu’elle conduirait
à incarcérer une majorité de la jeunesse du pays,
et bon nombre d’adultes.

Sans doute trop laxiste, ce projet de réforme
n’aboutit pas et est largement contredit par une
loi sur la prévention de la délinquance dont le
scandaleux volet psychiatrique a été abandonné,
mais dont le volet «drogues» ne fait qu’alourdir
les sanctions de la loi de 1970 : on a donc
choisi de durcir une loi qui était inapplicable,
car trop dure…

Le monde de l’intervention en toxicomanie va mal.
Il y a quelques jours, le docteur De La Selle a
été condamné, à Montpellier, au prétexte qu’il
possédait dans son cabinet quelques flacons de
Méthadone rapportés par une de ses patientes :
c’est le principe de la réduction des risques et
l’extension des pratiques de substitution qui
sont ici attaqués.

Le week-end dernier nous apprenions le coup de
grâce porté par le président de la Mildt (Mission
interministérielle de lutte contre la drogue et
la toxicomanie) au réseau Toxibase, artisan de la
seule base de données francophone en matière
d’addiction. C’est la recherche qui est touchée,
alors que, comme le souligne la Fédération
française d’addictologie, «les moyens attribués à
la recherche en France sont dix fois moins
importants que ceux de l’Allemagne et cent fois
moins que ceux des Etats-Unis (rapportés au
nombre d’habitants évidemment)».
Il y a quelques semaines sortait le «plan
addictions», censé inspirer la politique en terme
de prise en charge et de prévention pour les
années à venir. Au-delà de l’effet d’annonce,
l’étude de ce plan montre sa caricaturale vacuité
: les mesures présentées comme nouvelles étaient
déjà programmées depuis longtemps, les véritables
mesures nouvelles sont dramatiquement absentes.
Le plan reste muet dans des domaines aussi
importants que la réduction des risques, la
prévention, les addictions sans drogues. La
France reste un pays sous développé en matière de
soins résidentiels, avec dix fois moins de places
que l’Espagne, par exemple.

Il est pourtant urgent de voir que le problème de
la drogue n’est pas résolu : les usages de
cocaïne augmentent, l’alcool est de plus en plus
utilisé comme une drogue par les jeunes, l’usage
de drogues de synthèse s’étend au-delà de
l’univers festif. Il faut surtout admettre que la
drogue n’est que la partie émergée d’un iceberg
de problèmes addictifs : dopage en entreprise,
jeux d’argent et de hasard, voire certaines
pratiques d’Internet ou de jeux en ligne…

Prévenir l’addiction, c’est faire en sorte que la
drogue, l’alcool, la machine à sous ou l’écran du
Rapido ne deviennent pas les seules formes de
quête de sens et de bonheur dans notre société.

Au-delà de déclarations habituelles de bonnes
intentions réaffirmant que la toxicomanie est un
problème grave, dramatique, qui sape les bases de
notre jeunesse, etc., nous demandons aux
candidats à l’élection présidentielle de se
prononcer sur ce sujet ou, du moins, d’entendre
ce que les professionnels du soin et de la
prévention ont à en dire, et d’ouvrir le débat :
quel statut pour l’usage simple de produits
illicites ? Quelle refonte pour la loi de 1970 ?
Quelle politique de prévention, qu’il s’agisse de
drogues légales ou illégales ? Quels moyens pour
développer une véritable politique de soins en
addictologie ?

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