Nicolas Sarkozy : In vino Veritas ?

Dernière mise à jour le 26/07/2016

Nicolas Sarkosy l’a dit et re-dit, il est contre toutes les drogues d’ailleurs il ne boit pas d’alcool. Pourtant il dit aussi qu’on ne paut pas assimiler le vin à la drogue…

http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=20920

mardi 20 mars 2007
 

Nicolas Sarkozy persiste et signe : on ne peut
pas « assimiler le vin à la drogue », a-t-il
réitéré samedi au micro de Skyrock, pour les
jeunes, au moment d’une discussion sur le
renforcement de la lutte contre le tabagisme.
Déclaration qui entérine ce qu’il avait déjà
déclaré chez un viticulteur le 26 février («  Le
vin n’est pas assimilable au tabac ou à la
drogue »), suite à deux petites gorgées de
sancerre qui avaient dû troubler son esprit peu
habitué à cette substance qui donc, selon Nicolas
Sarkozy, serait moins dangereuse que le cannabis
ou le tabac. On sent bien qu’il essaye de se
rattraper suite à l’enquête de « La revue des
Vins de France  », où l’on apprend que Monsieur
Sarkozy n’est pas un adepte du vin… scandale
pour un candidat qui se veut « président de tous
les Français ».

Heureusement, avec notre ministre de l’Intérieur,
« tout est possible ». Et comme il a toujours
raison car il « sait ce que veulent les
Français », il balaie au bas mot 40 ans de
recherche sur l’alcool en un claquement de
doigts, en substituant vin à alcool. Escamotage
peu élégant et douteux car, dans le vin, il y a
de l’alcool (en moyenne 12% quand même) et plus
précisément de l’éthanol.

Revenons peut-être à des définitions concrètes.
Qu’est-ce qu’une drogue ? C’est une substance
chimique dont la prise répétée entraîne des
modifications neurobiologiques (neurochimiques,
cellulaires, etc…) et comportementales qui
conduisent à la dépendance. La dépendance est
elle-même définie comme un désir puissant,
compulsif, d’utiliser une substance psychoactive,
avec des difficultés pour en contrôler les prises
(et éviter les rechutes) et un comportement de
recherche de ces substances qui envahit
progressivement la vie courante. Le DSM-IV
(diagnostics des différents troubles mentaux
établis pas l’Association américaine de
psychiatrie) a établi plusieurs critères de la
dépendance dont les plus caractéristiques sont :
les symptômes de tolérance, de sevrage (le
manque) et de la motivation à rechercher cette
substance alors que nous avons conscience de sa
nocivité (c’est l’aspect compulsif).

Je ne m’attarderai pas sur la tolérance aux
effets physiologiques de l’alcool (la plupart
d’entre nous ont été plus « sensibles » à la
première prise d’alcool qu’à la suivante) ni aux
symptômes de manque induits par le sevrage
d’alcool dont le tristement célèbre delirium
tremens. Je voudrais me concentrer sur deux
points : les modifications neurobiologiques
induites par la consommation d’alcool et l’aspect
compulsif.

Cerveau et alcool

Une des caractéristiques communes aux drogues est
leur capacité à activer dans le cerveau le
« circuit de la récompense », dont la pierre
angulaire est l’activation d’une petite structure
nommée aire tegmentale ventrale qui conduit à une
augmentation de la libération d’un
neurotransmetteur, la dopamine, dans le noyau
accumbens, impliqué dans un certain nombre
d’aspects motivationnels. Ce circuit est activé,
par exemple, par les psychostimulants type
cocaïne ou métamphétamine, la nicotine et…
l’alcool (1).

L’administration chronique d’éthanol chez
l’animal entraîne un certain nombre de
modifications biologiques qui vont modifier les
communications entre les neurones dans ce circuit
principalement, dont une augmentation d’une
enzyme, la tyrosine hydroxylase, impliquée dans
la synthèse de dopamine ainsi que la sensibilité
d’un récepteur au glutamate (récepteur NMDA), un
autre neurotransmetteur très répandu dans le
cerveau (2). Notons que la cocaïne ou l’héroïne
entraîne les mêmes modifications (2,3).

Ces modifications existent également chez
l’homme, où il a été observé une interaction
entre la consommation d’alcool et la sensibilité
à la kétamine, un anesthésique dissociatif qui
peut induire des états de psychoses aiguës, qui
est un antagoniste (« inhibiteur ») du glutamate
au niveau des récepteurs NMDA (4).

Alcool et compulsivité

La consommation de substances dites addictives ne
conduit pas irrémédiablement à la dépendance
physique et/ou psychologique. Mais en fonction de
la sensibilité des uns et des autres, de la durée
de consommation, ce qui était du récréatif,
quelque chose de plaisant, le « liking  »,
bascule dans le besoin, impératif, le « wanting
», et échappe totalement au contrôle de la
personne. L’empreinte de la drogue est
quasi-définitivement fixée dans l’esprit et le
cerveau de la personne toxicomane (dont le
principal problème est la rechute) qui cherchera
à consommer cette substance quant bien même il
sait que les conséquences seront négatives pour
lui-même et pour ses proches. Dans le cerveau en
effet, ce passage s’accompagnerait de
l’apparition d’un nouvel acteur, le striatum, une
structure cérébrale notamment impliquée dans la
mémoire procédurale, automatique, nécessaire pour
se rappeler les schémas moteurs compliqués acquis
lors de l’apprentissage de l’écriture, du vélo ou
du piano. C’est une mémoire « inconsciente » dans
le sens où il est quasi impossible d’expliquer
comment nos muscles doivent se coordonner pour
faire avancer un vélo ou rédiger une lettre.
C’est également une mémoire difficile à
« oublier » (d’où l’aphorisme « c’est comme le
vélo… »). Il semblerait donc que les drogues
détournent ce système, l’action de prendre cette
drogue étant profondément ancrée en nous, amenant
à un besoin compulsif (5).

L’alcool est un exemple typique de ce schéma et
voici le résultat d’une expérience
comportementale chez le rat que je trouve assez
édifiante (6). Un rat de laboratoire lambda
n’aime pas l’éthanol. Comme l’homme en fait, et
pour lui en faire consommer on rajoute du sucre :
ainsi le rat est habitué à l’éthanol en
consommant une solution à 10% en présence de
sucre. Puis, le sucre est retiré progressivement
et l’animal se mettra à boire volontairement une
solution composée uniquement d’eau et d’éthanol
(10%). Notons que notre chère industrie utilise
la même stratégie avec nos adolescents et les
boissons de type Smirnoff Ice… Mais revenons à
nos rats. Ils sont ensuite entraînés à presser
sur un levier pour obtenir leur ration d’éthanol.
Une fois la tâche acquise, l’éthanol est associée
à un malaise gastrique (une procédure de
conditionnement pavlovien couramment utilisée).
L’éthanol est donc maintenant quelque chose de
clairement négatif pour l’animal. Pourtant, une
fois remis en présence du levier, le rat
continuera à presser pour l’éthanol, ce qui n’est
pas la cas si l’expérience a été réalisée avec
une substance non-addictive comme du sucre. Cette
expérience a également était réalisée avec de la
cocaïne et les résultats sont similaires (7).
Nous retrouvons donc là, l’aspect compulsif où
malgré la connaissance de conséquences négatives,
le sujet va quand même consommer l’éthanol.

Tout cela pour profiter de faire une petite mise
au point scientifique sur l’alcool et de dire
« si, Monsieur Sarkozy, le vin est bien une
drogue ». Entendons-nous bien, je n’ai rien
contre le vin, j’en bois moi-même et apprécie.
Mais il faut arrêter l’hypocrisie : l’alcool,
dont le vin fait partie, est bien une drogue au
même titre que le tabac, le cannabis ou encore la
cocaïne. La différence entre toutes ces drogues ?
Elles sont plus ou moins contrôlables par
l’utilisateur, avec des drogues dites « douces »
et d’autres « dures », et divisée en deux groupes
par l’Etat entre licite et illicite.

Cette attitude de Nicolas Sarkozy m’agace donc,
et d’autant plus qu’il parle de tolérance zéro
pour le cannabis et explique que pour lui il n’y
a pas de différence entre drogues douces et
dures ! Donc monsieur Sarkozy, s’il suivait sa
droite ligne de conduite, devrait accuser tous
les viticulteurs d’être de vils dealers. Oui mais
voilà, le viticulteur et les amoureux du vin sont
des électeurs. Alors quitte à continuer sur ce
genre de malhonnêtetés intellectuelles dont il a
le secret (la proximité avec Jacques Chirac ?),
il ne lui reste plus qu’à aller à Argenteuil et à
proposer aux jeunes de banlieue une opération
« Château Petrus contre shit »… Ceci pourrait
faire sourire mais c’est un comportement très
caractéristique de notre ministre-candidat qui
consiste à adapter, et ce, de façon grossière, la
réalité à sa vision des choses et à évacuer ainsi
d’une drôle de manière ses incohérences.

1. Hyman SE, Malenka RC, Nestler EJ (2006).
Neural mechanisms of addiction : the role of
reward-related learning and memory. Annu Rev
Neurosci, 29:565-98.

2. Ortiz J, Fitzgerald LW, Charlton M, Lane S,
Trevisan L, Guitart X, Shoemaker W, Duman RS,
Nestler EJ (1995). Biochemical actions of chronic
ethanol exposure in the mesolimbic dopamine
system. Synapse, 21:289-98.

3. Beitner-Johnson D, Nestler EJ (1991). Morphine
and cocaine exert common chronic actions on
tyrosine hydroxylase in dopaminergic brain reward
regions. J Neurochem, 57:344-7.

4. Krystal JH, Petrakis IL, Krupitsky E, Schutz
C, Trevisan L, D’Souza DC (2003). NMDA receptor
antagonism and the ethanol intoxication signal :
from alcoholism risk to pharmacotherapy. Ann N Y
Acad Sci, 1003:176-84.

5. Everitt BJ, Robbins TW (2005). Neural systems
of reinforcement for drug addiction : from
actions to habits to compulsion. Nat Neurosci,
8:1481-9.

6. Dickinson A, Wood N, Smith JW (2002). Alcohol
seeking by rats : action or habit ? Q J Exp
Psychol B, 55:331-48.

7. Miles FJ, Everitt BJ, Dickinson A (2003). Oral
cocaine seeking by rats : action or habit ? Behav
Neurosci. 117:927-38.

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