Quand les adolescents jouent à la roulette russe médicamenteuse

Dernière mise à jour le 26/07/2016

Aux Etats-Unis, la drogue est has-been mais pas les médocs…

Source : http://www.rue89.com/chasse-a-cool/quand-les-adolescents-jouent-a-la-roulette-russe-medicamenteuse
Date : 15/04/2008

Les Pharming Parties (ou Pharm Parties), nouveau concept de soirées
adolescentes, consistent à mettre en commun les armoires à pharmacie
parentales pour ensuite ingérer une ou plusieurs poignées du contenu,
au hasard des mélanges… Si les médias sont encore réservés sur leur
impact et leur évolution, le phénomène américain rappelle au passage la
schizophrénie de la lutte contre la drogue face aux lobbies de
l’industrie pharmaceutique.

Les médicaments les plus répandus de ces "soirées cocktails" sont
les analgésiques (Oxycontin, Vicodin), les anxiolytiques (Valium,
Xanax) et ceux prescrits en cas de troubles de l’attention (Ritaline,
Adderall). Tous sont prisés pour l’état d’ivresse qu’ils procurent.

La CASA de l’Université de Colombia (National Center on Addiction
and Substance Abuse) affirme dans l’un de ses rapports que l’abus de
médicaments sur ordonnance a augmenté de façon significative.
Cependant, aucune réelle donnée chiffrée concernant ces Pharming
Parties n’y figure, mais les nombreux groupes de discussion sur
Internet semblent attester de cette tendance, sans pour autant en
reprendre le terme précis.

Un adolescent américain sur dix

2,3 millions d’adolescents américains de 12 à 17 ans auraient
participé en 2003 à ces soirées (dernières données disponibles). Un
chiffre qui a été multiplié par trois depuis 1992. Assez pour alimenter
les scenarii de certains épisodes de séries télé comme "New York Unité
Spéciale" ("Law & Order: Special Victims Unit") et "Boston Justice"
("Boston Legal").

Différentes études ont prouvé par ailleurs que les jeunes concernés
ne sont pas novices en terme de drogues, le rapport démontrant que 75%
d’entre eux seraient déjà des consommateurs de substances illicites.
Aucune donnée n’est disponible pour les autres pays.

Une telle pratique peut provoquer entre autres des troubles
respiratoires, des variations de la fréquence cardiaque ou encore de
sévères difficultés à s’exprimer en cas de mélange avec l’alcool. Selon
le Ministère français de la Santé, 128 000 hospitalisations et 8 000
décès annuels proviendraient déjà de mauvaises interactions
médicamenteuses.

Le succès des Pharming Parties réside dans la facilité
d’approvisionnement, les produits concernés étant récurrents dans les
pharmacies parentales ou disponibles sans ordonnance sur des sites
Internet spécialisés. Autre technique: certains symptômes peuvent être
exagérés afin d’obtenir une ordonnance plus fournie. Et si
l’accessibilité reste un grand facteur (notamment social), son
caractère légal malmène l’inconscient collectif en substituant cette
pratique à la toxicomanie. Pour preuve, certains junkies de Houston
consommeraient à forte dose du sirop contre la toux contenant de la
prométhazine et de la codéine (cf le titre hip-hop d’UGK, "Sippin’ on
some Syrup").

La France consomme deux à quatre fois plus de psychotropes que n’importe quel pays européen

Le phénomène pourrait prendre ici une ampleur inquiétante. En effet,
l’hexagone se distingue par sa surconsommation d’antibiotiques avec une
fréquence 2 à 2,5 fois supérieure à celle de l’Allemagne et du
Royaume-Uni. Plus généralement, la France consomme six fois plus de
médicaments que les Pays-Bas, là où six patients sur dix sortent d’une
consultation sans prescription (contre 0,25 chez nous).

Le problème renvoie également aux stratégies de séduction de
l’industrie pharmaceutique. Aux Etats-Unis, l’opinion publique semble
par exemple avoir pour acquis le fait que la Ritaline (médicament qui
lutte contre l’hyperactivité) permettrait de meilleurs résultats
scolaires, et que le Viagra, détourné de sa fonction première de lutte
contre l’impuissance, décuplerait les performances sexuelles. Les
prescriptions de ces médicaments étant par ailleurs légales, les
utilisateurs refusent parfois d’en voir les d’effets secondaires.

En définitive, comme le rappelle la sociologue Marie
Jauffret-Roustide, la recherche de paradis artificiels comme les
Pharming Parties a toujours existé mais les chiffres seraient à
relativiser. Selon elle, il est désormais plus facile d’avouer sa
consommation de drogues, conséquence de l’évolution des m?urs et du
caractère festif de certaines pratiques. Il serait donc maladroit
d’observer des correspondances entre un phénomène potentiel et la
détresse de la jeunesse actuelle.

Au XXIe siècle, c’est peut-être la forme qui, au fond, a évolué. Les
orgies seventies se seraient-elles transformées en troc médicamenteux?

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