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Le psychiatre Serge Hefez critique la nouvelle politique sur les drogues en France menée par la MILDT…
Date : 30/06/2008
Dépistage et repérage sont devenus les
maîtres mots de la conception gouvernementale de la santé publique.
Après le dépistage de l’appétence à la délinquance chez les mômes de
maternelle, voici les «tests de repérage» des jeunes en danger de
consommation de cannabis en milieu scolaire.
Le ministère de la
Santé et la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et
les toxicomanies (MILDT), dans le cadre du plan «santé des jeunes» ont
mis au point une «grille de comportement» capable d’identifier les
usagers de drogues.
Dressant le constat que la France figure parmi les plus importants
consommateurs de cannabis en Europe, tant chez les jeunes adultes que
chez les adolescents, ce plan annonce «l’expérimentation d’un test de repérage de l’usage à risque de cannabis en lien avec l’Education nationale». Le financement de ce vaste programme a déjà été débloqué.
Passé quasiment inaperçu, son objectif est : «repérer
suffisamment tôt les conduites à risque chez certains lycéens, engager
un suivi et prévenir les parents qui, sous prétexte qu’ils ne veulent
pas voir la réalité en face, sont souvent les derniers à s’en rendre
compte.»
L’expérimentation concerne aujourd’hui 3000 élèves, et une centaine
de personnes (médecins scolaires, enseignants, personnel d’encadrement)
sont actuellement formées.
Une grille d’analyse de comportement
permet de repérer si le comportement signalé de tel ou tel élève relève
d’un usage régulier de drogue ou d’alcool.
«Tout changement de comportement atypique à l’école peut cacher une dépendance», nous
apprend ainsi le président de la MILDT, Etienne Apaire, monsieur
antidrogue de Sarkozy, dont il fut le conseiller au ministère de
l’Intérieur : «L’absentéisme, la somnolence pendant les cours, les mauvaises notes, les accès de violence ou de repli sur soi.»
Seuls les premiers de la classe seront donc épargnés, mais de toute
façon, l’Association des Parents contre la drogue réclame déjà que les
tests soient réalisés par tirage au sort, afin de «détecter les élèves qui fument dès leurs premiers joints».
Et
pas de repentance possible : le Vatican a, quant à lui, allongé le 10
mars la liste officielle des péchés, avec la consommation de drogues.
J’ai co-signé il y a un mois avec quelques collègues une tribune
dans ce journal dont je rappelle ici quelques points. Nous y exprimions
notre inquiétude et notre exaspération face à cette apologie galopante
du tout sécuritaire et du tout répressif concernant des problématiques
aussi complexes que l’usage ou l’abus des drogues licites et illicites.
Voici quelques formules résumant le credo du nouveau président de la MILDT : «Tout adolescent fumeur est un dealer en puissance». «Les pratiques d’application de la loi sont trop molles». «Les parents doivent être éduqués pour appliquer la loi (juridique et non symbolique)». «L’avenir de la prévention reposera bientôt sur 500 militaires Formateurs Relais Anti-Drogues».
Il est depuis longtemps prouvé que l’affirmation «derrière l’usager se cache souvent un délinquant» est inexacte, mais elle a encore de beaux jours devant elle.
En
outre, l’étude des expériences internationales, depuis la prohibition
de l’alcool aux USA dans les années 30, montre qu’augmenter le nombre
d’interpellations d’usagers et les sanctions envers les consommateurs «pour rappeler l’interdit»
est à double tranchant. Réprimer, en addictologie, ne suffit pas à
prévenir ou à soigner les dépendants et ne protége guère du désordre
social.
Si nos objectifs sont bien de baisser la consommation des substances
psychoactives licites et illicites et d’en limiter les dommages, tous
les dommages et pour tous nos concitoyens, nous savons qu’une telle
politique des addictions est avant tout une politique de santé. Elle ne
saurait trouver son fondement dans la seule application de la loi.
L’addictologie n’est pas la sécurité routière ! Le permis à points
de vivre libre ou dépendant n’existe pas et tant mieux. Ne demandons
pas à la répression ce qu’elle ne peut pas donner. Nous savons par
expérience que quand elle est mise au centre d’une politique des
drogues, les effets contre-productifs l’emportent, la santé publique
est en danger. Faut-il rappeler comment le sida s’est dramatiquement
répandu en France parmi les usagers de drogues dans les années 80 ?
Alors que nous avons une législation particulièrement répressive et que
plus de 150 000 usagers ont été interpellés en 2007, les consommations
de cannabis et de cocaïne n’ont jamais cessé d’augmenter. Tout comme le
trafic.
Tout laisse hélas à penser que la fragile politique de
santé des addictions à laquelle nous travaillons pas à pas depuis deux
décennies est en passe d’être sabordée et que la guerre à la drogue est
en train de redevenir synonyme de guerre aux drogués. La seule
stratégie qui a favorisé la diminution de la consommation d’héroïne
dans notre pays et qui s’est révélée efficace face au trafic et à la
violence n’a pas été répressive, mais a reposé sur l’accès aux soins et
aux médicaments de substitution
Nous avons ainsi réduit les overdoses de 80%, affaibli de façon
spectaculaire la dissémination du VIH/sida, diminué la consommation de
drogues par injection, diminué les actes de délinquance, amélioré
considérablement l’insertion sociale de ces personnes. Plusieurs
milliers de vies ont ainsi été sauvées dans notre pays. Aujourd’hui,
l’épidémie d’hépatite C nécessite plus que jamais le renforcement de
l’ensemble de ses stratégies.
Que peut-on attendre d’une prévention qui ne serait qu’information obligatoire, comme l’impose les stages cannabis ?
Il
nous faut, plus que jamais, construire ensemble, responsables
politiques, sanitaires, juridiques, médias et policiers, une politique
de santé publique citoyenne et surtout efficace en matière
d’addictions. Une politique pragmatique, car en santé des addictions la
morale n’est pas éthique.