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Les villes européennes veulent être plus actives en matière de politique liée aux drogues…
Source : AFP
Date : 08.11.07
Un forum de 300 villes et collectivités territoriales européennes a ouvert jeudi à Venise une conférence de deux jours sur les politiques anti-drogue en réclamant un rôle et des financements accrus particulièrement dans la prévention, les soins et la réduction des risques. Les villes sont "en première ligne pour répondre aux problèmes liés aux usages de drogues", explique Thierry Charlois, coordinateur du projet "Démocratie, Villes et drogues", au sein du Forum européen pour la sécurité urbaine (FESU), crée en 1987. Le projet a été reconduit par la Commission européenne pour la période 2008-2010. "C’est au niveau local que les citoyens subissent les conséquences de l’usage et du trafic des drogues, et c’est donc au niveau local que doit être construite la cohérence des actions entre prévention, traitement et application de la loi", souligne-t-il. La conférence, la troisième du genre après celles de Barcelone (2005) et de Gand (Belgique), doit permettre selon les organisateurs de confronter les résultats de trois années d’échange de pratiques entre villes européennes concernant les politiques anti-drogue. Elle réunit aussi bien des représentants de municipalités et de services sociaux de grandes villes ou régions européennes (Gênes, Vénétie, Rotterdam, Barcelone…) que d’organismes internationaux comme l’Observatoire européen des Drogues et des Toxicomanie (OEDT) ou le Bureau des Nations Unies sur les Drogues et la criminalité (UNODC). Sont également présents des magistrats, des responsables associatifs et des agences anti-drogue de pays de l’Est, notamment la Roumanie et la République tchèque avec lesquels il s’agit de construire ou de consolider des partenariats. "La Roumanie a été plus particulièrement invitée car l’agence roumaine soutient le développement de politiques locales en matière de drogues au sein des villes roumaines et elle a déjà organisé des échanges de pratiques sur ce sujet avec des villes espagnoles", indique M. Charlois. Pour Frank Zobel, de l’Observatoire européen des Drogues et Toxicomanies (OEDT), la consommation de drogue "reste avant tout un phénomène urbain" et "la taille des villes est souvent un bon indicateur de l’étendue des problèmes posés par la drogue". Selon le rapport 2006 de l’OEDT, les pays européens sont confrontés notamment à un retour des drogues dures avec une augmentation de la production mondiale d’héroïne et de cocaïne ainsi que la diversification des voies d’importation de ces produits dans les pays européens. Plus généralement, on constate dans l’UE un arrêt de la tendance à la baisse du nombre des décès liés aux drogues qui est stabilisé autour de 7.000 à 8.000 décès par an. Enfin, la drogue est moins chère que jamais en Europe, les prix de l’héroïne et de l’ecstasy ayant par exemple chuté de plus de 40% en 5 ans. Lors d’un manifeste publié fin 2006, les villes du forum demandaient notamment "que les autorités locales soient dotées des moyens et des marges de manoeuvre nécessaires à l’expérimentation de réponses innovantes respectueuses des libertés individuelles et tenant compte de la diversité des situations". Elles considéraient que la question des consommations de drogues devait s’inscrire dans les politiques du secteur de la santé, estimant que "la politique répressive envers les consommateurs de drogues s’avère inadaptée à l’évolution des cultures et pratiques, maximalise les risques et accentue une stigmatisation portant atteinte à la citoyenneté de ceux-ci".
La sortie de prison, moment à haut risque pour les consommateurs de drogue
La sortie de prison est un moment à haut risque pour les consommateurs de drogue, ont souligné vendredi à Venise lors d’une conférence, associations et institutions européennes qui ont insisté sur la nécessité de renforcer les prises en charge sanitaires et sociales. "Sortir de prison constitue un risque très élevé, parfois mortel, pour certains consommateurs de drogues", a expliqué Cinzia Brentari, chef de projet du réseau européen pour la prévention auprès des usagers de drogue en prison (ENDIPP). Des études européennes récentes montrent que la probabilité de décès lié à la consommation de drogue (overdose) est 20 à 50 fois plus élevée qu’en temps normal dans la première semaine suivant une libération "Le second problème le plus criant est le manque de continuité dans les soins", poursuit Mme Brentari. "Pour commencer, les consommateurs de drogue ne devraient pas se retrouver en prison et les alternatives à l’emprisonnement devraient se développer dans tous les pays européens", assure-t-elle. "Les traitements qui peuvent se révéler beaucoup plus efficaces que la répression et l’enfermement pour réduire les usages problématiques de la drogue et la criminalité" devraient également être développés, ajoute-elle. "Pour nous, c’est une question très importante", affirme Natacha Grenier, de la direction générale de la santé de la Commission européenne. "Nous voulons accompagner la mise en place de politiques de prise en charge dignes et adaptées pour les usagers de drogues et parvenir à un véritable accompagnement de la sortie lorsqu’il y a eu enfermement". "La prison ne marche pas pour réduire les addictions", assure Thomas Legl, du réseau européen des centres de soins pour toxicomanes (Euro- TC), basé à Vienne. "Au contraire, elle vient souvent briser des traitements et renforce le mal-être de l’usager". "Au Royaume-Uni, comme dans la plupart des autres pays européens, la répression est mise en avant et les problèmes sociaux, les inégalités économiques et raciales qui sont souvent à l’origine de la prise de drogue sont totalement laissées de côté au profit de la répression", constate pour sa part Karim Murji, professeur de sciences sociales en Grande- Bretagne (Open University). Les données concernant la drogue en prison sont rares et incomplètes, ont rappelé les participants de la conférence Démocratie, Villes et Drogues, mais l’on peut dire que dans l’UE, les consommateurs de drogue sont surreprésentés en prison.
Dans des études récentes, 8 à 73% des prisonniers européens ont déclaré avoir consommé des drogues avant leur arrivée en prison, 7 à 38% par injections. Huit à 51% de ces détenus interrogés avaient poursuivi leur consommation en prison, entraînant une propagation rapide du VIH et des hépatites B et C. Mme Brentari soutient que "de véritables politiques de santé publique européennes passent par un accompagnement social et sanitaire complet des usagers de drogues à la sortie de prison". Ce soutien doit comprendre, selon elle, un aspect médical (traitements de substitution ou échanges de seringues, soutien psychologique…) mais aussi une aide en matière de logement et d’emploi. De telles mesures, qui restent rares dans les pays membres de l’UE, peuvent "aider à réduire la criminalité, faciliter la réinsertion, augmenter les chances de succès des traitements" et surtout "sauver des vies", assure le professeur Ambros Uchtenhagen, de l’Institut de recherche sur la santé publique et les addictions de Zurich (Suisse).
La consommation de drogues en Europe de l’Est reste méconnue et négligée
Les programmes antidrogue peinent à se mettre en place en Europe de l’Est, souffrant notamment d’un manque de fonds, de données fiables et de volonté politique, ont déploré à Venise les participants d’une conférence internationale. "Nous sommes encore au balbutiement d’une politique antidrogue particulièrement en matière de réduction des risques et avons besoin d’appuis internationaux qui font souvent défaut", a souligné Pavel Abraham, président de l’agence antidrogue roumaine, lors de la rencontre Démocratie, Villes et Drogues, qui s’est achevée samedi matin. "Les décideurs européens laissent les pays de l’Est dans les zones d’ombre de la politique antidrogue, ce qui pourrait avoir un effet boomerang dont l’Ouest ne soupçonne pas la force", renchérit Kamil Kalina, coordinateur national pour les problèmes de drogue en République tchèque. Ce pays compte, selon les chiffres officiels, 30.000 usagers de drogues dits "problématiques", dont 20.000 consommateurs de méthamphétamine, une particularité tchèque et 10.000 d’opiacés dont 80 à 90% par injection, avec de fortes disparités régionales. "Les pays de l’Est, qu’ils soient membres de l’UE ou non, sont très désorientés concernant les politiques anti-rogue, soit ils se voilent la face, soit ils manquent cruellement d’expérience, de fonds, de volonté politique et de partenariats pour mener à bien des projets de réduction des risques", résume Jiri Richter, président de l’association tchèque Sananim, qui a "appelé à l’aide" les représentants de villes de l’ouest présents à la conférence. Pour Peter Sarosi, de l’Union hongroise pour les libertés civiques, qui fait partie d’un réseau d’associations d’Europe orientale, "il n’y a en particulier pas de réponse suffisante à la menace du VIH et des hépathites B et C". Les associations doivent également travailler dans un contexte souvent "très répressif", souligne-t-il avec des sanctions pénales très dures pour simple possession de drogue pour usage personnel, comme en Bulgarie où la loi ne fait pas la distinction entre consommateur et dealer. A ce contexte politique actuel viennent s’ajouter des dimensions culturelles propres, souligne le Dr Patrick Beauverie, pharmacologue, responsable d’une mission de Médecins du Monde (MDM) en Serbie. Il cite notamment dans ce pays où cannabis et drogues de synthèse se propagent, une "confusion chez certains bénéficiaires entre les approches communautaires et le communisme", ainsi qu’une "négation" de la consommation de drogue par la personne concernée et son entourage. MDM travaille en partenariat avec des ONG locales comme Duga en Bosnie-Herzégovine, Vita Kosova au Kosovo ou Veza en Serbie. Mais là encore "il faut bien observer", souligne le Dr Beauverie. "Certaines pseudo-associations sont des émanations directes de partis politiques et/ou de simples pompes d’argent public qui disparaissent lorsque le financement d’un projet se tarit".
Pourtant selon lui "la politique de réduction des risques à l’Est ne doit pas venir de la technostructure européenne mais doit être élaborée à partir de la société civile et des expériences de terrain". Les donateurs internationaux "se contentent actuellement de mettre en place des programmes standardisés, d’imposer des lois prohibitionnistes sans aucune flexibilité", déplore le Dr Beauverie, "alors qu’il faudrait mettre en place d’urgence à l’Est des politiques de réduction des risques souples, inventives et durables".