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Une pétition contre le recours systématiques aux anti-dépresseurs…
Source : http://www.lejdd.fr/cmc/societe/200834/cyrulnik-les-psychotropes-un-symptome-culturel_144275.html
Date : Samedi 23 Août 2008
Cyrulnik: "Les psychotropes, un symptôme culturel"
Propos recueillis par Anne-Laure BARRET
Boris
Cyrulnik, psychiatre et neurologue (1), est surtout connu pour avoir
développé le concept de "résilience" (renaître de sa souffrance). Au
côté de quatorze grands médecins, il s’engage contre l’abus de
psychotropes dans un appel lancé par le magazine Psychologies et relayé
par le JDD. Pour lui, le mal-être ne doit pas être surmédicalisé…
Faut-il bannir les psychotropes?
Il y a des gens que les psychotropes sauvent. Il y a des mélancoliques
qui, sans antidépresseurs, seraient incapables de quitter leur lit et
ne pourraient pas aller voir un médecin. Il y a des délirants qui
souffrent énormément et qui font énormément souffrir autour d’eux et
qui sont soulagés par des antipsychotiques. Il y a des malades qui sont
torturés par une alternance entre euphorie maniaque et dépression
mélancolique et qui sont stabilisés de manière stupéfiante par le
lithium. Pour tous ces gens-là, les psychotropes sont vitaux. Mais cela
n’empêche pas -au contraire cela permet- la psychothérapie qui est le
vrai traitement.
Et les autres consommateurs de psychotropes, sont-ils tous malades?
Ils ne sont pas malades mais ils ont des angoisses existentielles
auxquelles personne n’échappe et ils les affrontent en prenant des
médicaments. C’est un symptôme culturel. On met l’accent sur la
tranquillisation chimique, on oublie la tranquillisation verbale,
relationnelle. La prescription abusive de psychotropes est un témoin de
notre défaillance culturelle. Notre culture propose également des
stimulants chimiques pour mettre au monde des enfants, gagner les jeux
olympiques et mieux travailler. Avant on codait les relations humaines,
il y avait des rituels, maintenant il y a de moins en moins de rituels
et on voit des adolescents boire de l’alcool, se doper, simplement pour
oser courtiser une fille.
En dehors de l’angoisse, les gens frappés de fatigue chronique ne peuvent-ils pas être aidés grâce à des médicaments?
Très souvent ces fatigues chroniques sont de petits états dépressifs.
Beaucoup sont dues à la sédentarité dans laquelle nous vivons.
Contrairement à l’effort intellectuel, l’effort physique provoque la
sécrétion d’une endorphine qui est euphorisante. Les gens sont fatigués
par leur travail parce qu’ils se servent beaucoup moins de leur corps
qu’avant.
Au-delà des conséquences négatives de l’individualisme occidental,
comment expliquez-vous que les Français consomment plus de psychotropes
que leurs voisins européens?
Les Anglais en consommaient beaucoup moins que nous jusqu’au jour où
ils ont calculé que les arrêts de travail leur coutaient plus chers que
la prescription de ces médicaments. La surconsommation française est
sûrement liée au fonctionnement de notre système de sécurité sociale et
à la formation de nos généralistes.
Selon la Cnam, les généralistes prescrivent trop de psychotropes. Sont-ils bien formés?
A l’université, on leur apprend à prescrire des psychotropes. Pour
qu’ils en prescrivent moins, il faudrait leur donner une vraie
formation psychologique, ce qui est loin d’être le cas.
Qu’en est-il des problèmes de sevrage causés par les tranquillisants?
On est moins accroc aux tranquillisants qu’à l’alcool, à la cigarette
ou au cannabis, des produits valorisés culturellement. Il y a une
dépendance quand, dans l’existence humaine, il n’y a pas d’autre sens.
Si on trouve un sens à la vie, on arrive à arrêter ces médicaments. Ce
n’est pas l’avis de la majorité des psychiatres mais moi je pense qu’on
peut facilement arrêter ces médicaments dès qu’on commence une
psychothérapie, dès que les gens arrivent à donner sens à leur vie.
J’avais par exemple un patient ingénieur qui n’arrivait pas arrêter ses
tranquillisants. Il en prenait depuis des années. Il a trouvé un boulot
magnifique dans un Emirat arabe avec un salaire faramineux et des
conditions de travail et d’existence formidables. Il était embêté avant
le départ car il savait qu’il ne pourrait pas en trouver là-bas. Je lui
en ai prescrit une boîte. Quelques mois plus tard, il m’a écrit pour me
dire que dès qu’il avait été engagé dans sa nouvelle existence, il
avait complètement arrêté les tranquillisants sans dépendance. C’est la
preuve qu’il ne faut jamais réduire l’homme à sa condition chimique.
"Chercher le bonheur est déjà le début du bonheur"
Quelles solutions alternatives aux médicaments préconisez-vous?
Il y en a plein : la solidarité affective, le développement de la vie
collective, l’oeuvre d’art (cinéma, lecture), la marche à pied et
éventuellement la psychothérapie. Tous ces mécanismes culturels sont
des tranquillisants naturels pour l’homme. Tout ce qui brise la
solitude – qui est le plus sûr moyen de devenir anxieux et dépressif-
est utile.
A qui sont destinées les psychothérapies?
La psychothérapie, ça veut dire soigner par l’âme. On en a tous besoin.
Ca ne veut pas dire qu’on ait tous besoin d’un psychiatre ou d’un
psychologue mais on a tous besoin de s’expliquer, d’aimer, de lire,
d’aller voir un match de foot. La psychothérapie est inhérente à la
condition humaine. Tout être humain ne peut vivre que s’il a autour de
lui un autre, une autre. C’est la solidarité affective qui provoque
culturellement cette psychothérapie. Parfois, il y a eu des tragédies
dans notre existence ou des difficultés de développement pour
lesquelles notre culture ne prévoit pas de réparation. Dans ce cas-là,
on peut aller voir un psychothérapeute.
Comment trouver un bon psychothérapeute?
On peut demander conseil à un généraliste ou à un ami. On dit
psychothérapie pour aller vite mais c’est un raccourci: il y a
plusieurs dizaines de psychothérapies différentes et chaque thérapeute
a sa propre méthode. Ce qui compte, c’est la rencontre entre une
personne qui souffre et qui cherche une autre personne capable de
l’aider à se décentrer d’elle-même pour comprendre sa souffrance et
mieux se défendre dans la vie.
Faut-il réglementer cette profession?
Je suis très mal à l’aise avec cette question. D’un côté, il n’est pas
nécessaire d’être médecin pour être un bon psychothérapeute. De
l’autre, on trouve dans ce milieu des charlatans qui devraient être
interdits d’exercice.
Les enfants et les adolescents consomment-ils trop de psychotropes?
Il y a chez les enfants un bouillonnement développemental extrême qui,
la plupart du temps, peut être géré par l’adulte au moyen d’écoute et
de parole. Dans un nombre très petit de cas cependant, on voit des
enfants protégés par les médicaments. Les prescriptions étant très
surveillées, il n’y a pas tellement de surconsommation. Mais le
problème avec les enfants, c’est que la prédiction est très difficile à
faire. Il y a des enfants très altérés qui, après l’adolescence,
deviennent de jeunes adultes équilibrés, paisibles. On voit au
contraire des jeunes équilibrés, faciles qui, après l’adolescence,
basculent et traversent des années de grande souffrance. Et quand un
adolescent souffre, il fait souffrir autour de lui.
Peut-on apprendre à être heureux?
On peut apprendre à chercher le bonheur ce qui est déjà le début du
bonheur. Mais la recherche du bonheur est une exigence récente
puisqu’elle date de la Révolution française. On croit que le bonheur
est une entité, quelque chose en soi alors que beaucoup de cultures
pensent qu’on ne peut pas être heureux sur terre. La culture
occidentale chrétienne, par exemple, disait que le passage sur terre
est une vallée de larmes entre deux paradis, le paradis perdu et le
paradis à retrouver si on a été sage sur terre. La recherche du
bonheur, récente, provoque paradoxalement beaucoup de malheur…
(1)De Chair et d’Âme, Éditions Odile Jacob, 2006.
Source :http://www.psychologies.com/cfml/article/c_article.cfm?id=9257
Date :23-08-2008
Serge Hefez : Le recours au médicament arrange tout le monde
Psychologies : Comment s’explique cette surconsommation de médicaments psychotropes en France ?
Serge Hefez
: Il existe chez nous une culture du produit psychotrope très forte :
nous sommes aussi parmi les plus grands consommateurs d’alcool et de
cannabis en Europe. Cela traduit une spécificité de « la déprime à la
française » : dans les sondages sur la qualité de vie ou la vision de
l’avenir, nous apparaissons toujours plus dans la plainte que les
autres. Cela semble lié à une façon de nous en remettre à la protection
de l’État providence. Plus concrètement, notre système de santé, sans
doute le meilleur d’Europe, pour ne pas dire du monde, fait que
quiconque, sans débourser un centime, peut quasiment dans la minute
avoir accès à un médecin et à des médicaments. Essayez de voir un
généraliste en Angleterre, vous attendrez au minimum six mois. En
Italie ou ailleurs, il faut payer très cher
Pourquoi avons-nous ce « réflexe médicament » pour soulager nos souffrances morales ?
Serge Hefez
: Parce que nous considérons que toute souffrance est un état
pathologique. La grande nouveauté de ces dernières décennies, c’est de
médicaliser la souffrance, comme de médicaliser la mort, le deuil. Cela
revient à faire passer l’idée que la normalité, c’est le bonheur.
Certes, chacun de nous aspire à la joie, à la félicité, mais dire que
c’est normal, cela fait basculer ce qui est de l’ordre de la souffrance
et de la tristesse du côté du pathologique, donc du médical. C’est une
question éthique, une dynamique dans laquelle nous sommes pris,
patients comme médecins. Finalement, le recours au médicament arrange
tout le monde.
Nous semblons tous confondre déprime et dépression.
Serge Hefez
: Parce qu’il n’existe pas de frontière étanche. Il s’agit d’une
transition entre un état « normal », que nous connaissons tous à un
moment ou à un autre ? la déprime, le vague à l’âme, l’angoisse, le
blues… ?, et un état pathologique ? la dépression ? dans lequel, malgré
notre bonne volonté, nous ne parvenons pas à aller mieux, à faire un
projet, à bouger. Toute la question réside dans cette estimation assez
subjective et complexe- de la dépression physiologique en opposition à
la déprime « normale ». Face à quelqu’un qui est en deuil ou qui
éprouve une déception sentimentale, il s’agit d’estimer si cela lui
fera plus de bien de traverser ce processus de deuil ou de chagrin que
de mettre dessus un « voile médicamenteux ». Cela ne s’évalue pas en
dix minutes, cela se discute entre le médecin et son patient.
Des alternatives, telle la psychothérapie, existent pourtant…
Serge Hefez
: Pour un généraliste, le recours au psy, toujours associé à la folie
même si les choses évoluent, n’est déjà pas une indication facile à
donner. Le champ des psychothérapies apparaît en outre tellement vaste,
compliqué, conflictuel, que ce n’est pas facile de s’y retrouver. Entre
l’effort à fournir pour se former, se faire un carnet d’adresses, lire
des publications validées sur ces questions, et faire une ordonnance de
Prozac ou de Zoloft qui prend trois minutes, évidemment…
Source : http://www.lemonde.fr/web/imprimer_element/0,40-0@2-1073842,50-1087583,0.html
Date : 28-08-08
Quinze médecins dénoncent l’abus d’antidépresseurs en France
Quinze
médecins, dont treize psychiatres, lancent un appel contre l’abus des
antidépresseurs en France. Publié dans le numéro de septembre du
mensuel Psychologies Magazine, le texte est signé notamment par
Gérard Apfeldorfer, Boris Cyrulnik, Serge Hefez, William Lowenstein,
Marcel Rufo et David Servan-Schreiber. Destiné à interpeller la société
française, il dénonce "un triste record" et met en avant les dangers de cette surmédicalisation.
En s’appuyant sur une enquête de
l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur la période 2001-2003, les
signataires rappellent que "21,4 % des Français ont consommé des
médicaments psychotropes dans l’année, contre 15,5 % des Espagnols,
13,7 % des Italiens, 13,2 % des Belges, 7,4 % des Néerlandais et 5,9 %
des Allemands".
Cette surconsommation a notamment été
soulignée, en juin 2006, par une étude sur l’usage de médicaments
psychotropes en France commandée par l’Office parlementaire
d’évaluation des politiques de santé et cordonnée par Hélène Verdoux et
Bernard Bégaud, tous deux chercheurs à l’Inserm et à l’université
Bordeaux-II.
"ALTERNATIVES EFFICACES"
Les
"troubles mentaux" représentent le quatrième poste des dépenses
pharmaceutiques de l’assurance-maladie et se situent – avec 122
millions de boîtes vendues en 2005 – au deuxième rang en termes de
prescriptions, derrière les antalgiques. De 300 millions d’euros en
1980, le montant remboursé par l’assurance-maladie pour ces produits a
atteint 1 milliard d’euros en 2004. Un adulte sur quatre utilise un
psychotrope au moins une fois par an. De plus, une vaste étude publiée
au début de l’année a montré qu’en dehors des dépressions très sévères,
les antidépresseurs les plus récents ne sont pas plus efficaces qu’un
placebo.
Face à une surconsommation qui "augmente chaque année", les signataires de l’appel indiquent que leur "objectif
n’est pas de remettre en question l’aide majeure apportée par ces
molécules dans le traitement des pathologies mentales ni dans les
situations de crise aiguë. Mais il nous semble nécessaire et urgent
d’alerter l’opinion et les pouvoirs publics sur les dangers de cette
surmédicalisation du mal-être et sur l’existence d’alternatives non
médicamenteuses aussi efficaces". Ils précisent que "les
techniques ayant fait leurs preuves pour soulager la douleur psychique
non pathologique ne manquent pas : psychothérapie, phytothérapie,
relaxation, méditation, activité physique…