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Quand la scientologie fait de la prévention ça donne : "Non à la drogue, Oui à la vie"…
Date : jeudi 20 avril 2006
Source : Le Parisien
« Bonjour madame, vous êtes contre la drogue ? »
LE STAND est installé depuis 11 h 30 à l’entrée du marché des Grandes-Bornes, une cité de Goussainville . C’est l’heure d’affluence. « Bonjour, madame, vous êtes contre la drogue ? Alors venez signer la pétition. Vous vous engagez à ne jamais en prendre et à en parler autour de vous. »
L’homme est avenant, souriant. Les badauds, hélés hier midi, marquent un temps d’étonnement avant de s’approcher.
Evidemment, ils sont tous contre. Zohra s’inquiète pour les petits du quartier, Marie ne sait plus comment s’y prendre avec son fils de 21 ans, fumeur de shit. Ridah « a des petits enfants » et se sent « concerné ». Alors l’un après l’autre, des hommes, des femmes, des jeunes filles signent sans hésitation la pétition que leur tendent les membres de Non à la drogue, oui à la vie. En moins d’une heure, plus de 150 signatures ont été recueillies.
C’est la même équipe de cette association, parrainée par l’Eglise de scientologie, qui se déplace depuis un mois dans les banlieues. « Avant de venir, je me renseigne sur la substance qui se vend dans le secteur. J’appelle les commissariats », explique Alexandra Michel, trésorière nationale de Non à la drogue, oui à la vie. Elle est aussi responsable d’une Eglise de scientologie à Paris, dans le XVII e arrondissement. La jeune femme ne cache rien.
C’est aussi inscrit sur les livrets d’information laissés en évidence sur le stand et émaillés de messages de Ron Hubbard, philosophe américain, fondateur de l’Eglise de scientologie. Mais pas un passant ne le remarque. On pose la question, quelques mètres plus loin. « C’est le message qui importe, répond Zohra, Pourquoi se compliquer à savoir d’où il vient ? L’essentiel est de le faire passer. La drogue fait peur. »
« Les sectes repèrent les zones de fragilité »
MEMBRE du conseil d’orientation de la Miviludes, Jean-Pierre Brard est le vice-président du groupe d’étude sur les sectes à l’Assemblée.
La Scientologie fait une tournée en banlieue, contre la drogue. Cela vous étonne-t-il ?
Jean-Pierre Brard . Pas du tout. Les nazis spéculaient sur le chômage.
Typiquement, les sectes repèrent les zones de fragilité et veulent apparaître comme le saint-bernard. Elles essayent d’attirer en promettant une solution à un problème très grave, avant d’instaurer une relation de dépendance. Il y a de nombreuses ressemblances entre la dépendance sectaire et la toxicomanie : on a du mal à s’en sortir et c’est ruineux. La dépendance sectaire, c’est comme la drogue, il faut se soigner pour en sortir.
Pourquoi la Scientologie, dont on connaît l’intérêt pour les milieux dirigeants, s’intéresse-t-elle à la banlieue ?
En France, la Scientologie a reculé sous les coups que nous lui avons infligés, mais il lui faut des adeptes pour faire du prosélytisme, des gens vulnérables qui vont être les petites fourmis. L’argent intervient dans un deuxième temps. Sur le plan financier, c’est certainement la secte la mieux huilée.
Une secte peut-elle agir impunément ?
Il n’y a pas de définition juridique de la secte. Ce sont les actes illégaux qu’elle mène qui sont poursuivis.
Rien ne vous interdit de croire aux tables qui tournent, par exemple, mais vous n’avez pas le droit d’obliger votre voisin à y croire ni de lui vider son porte-monnaie.
Si la Scientologie trouve une telle écoute, c’est bien qu’il y a un terrain à investir… Les sectes sont le symptôme de la maladie de nos sociétés, où l’individualisme règne en maître.
Quand vous ne pouvez vous raccrocher à rien, vous pouvez être séduit par l’idée de faire partie d’un groupe, un groupe qui deviendra aliénant. Ce qu’il faut, c’est garder l’esprit critique.
Propos recueillis par Carole Sterlé
Entre 2 000 et 6 000 adeptes en France
TOM CRUISE n’a pas son pareil en France pour défendre la Scientologie. Cette église ne jouit pas en France de l’aura qu’elle a sur sa terre natale, les Etats-Unis, où elle est née au milieu des années 1950, en Californie, de l’idée de Lafayette Ronald Hubbard, auteur de romans de science-fiction. Avant de mourir dans un accident à 77 ans, en 1986, le romancier a eu le temps d’écrire « la Dianétique », l’ouvrage référence de la Scientologie.
La Scientologie a traversé l’Atlantique dans les années 1970 et figure depuis 1995 dans un rapport parlementaire sur les dérives sectaires, bien que l’organisation s’en défende. Pourtant, plusieurs critères objectifs existent : la référence au gourou Hubbard, les exigences financières réclamées aux adeptes…
Et certains préceptes qui laissent pour le moins dubitatif : les saunas et la « dianétique » suffiraient à se remettre de toute maladie. Vingt-trois adeptes ont d’ailleurs déjà été jugés pour homicide involontaire, escroquerie, abus de confiance… à Lyon, en 1996, après le décès d’un dessinateur industriel qui s’était jeté du 12 e étage. Sur sa table de nuit, on retrouvait des médicaments prescrits par un scientologue.
Le dirigeant de l’Eglise de l’époque avait alors été condamné à dix-huit mois de prison ferme. La Scientologie afficherait quelque 6 000 adeptes, mais la Miviludes lui en reconnaît seulement 2 000 sur notre territoire.
L’Eglise de scientologie investit les cités sensibles
DEPUIS LES ÉMEUTES de novembre, l’Eglise de scientologie est omniprésente dans les cités, à travers l’action de plusieurs associations qui vont à la rencontre des habitants. Cette offensive inquiète les associations de lutte contre les sectes. Ils surfent sur les thèmes de société et les sujets liés au malaise des banlieues : drogue, discrimination, logement, chômage… On les croise sur les marchés, distribuant des livrets sur les dangers de la drogue chez les jeunes. Après le Val-Fourré (Yvelines), Meaux (Seine-et-Marne), les Tarterêts (Essonne), l’association Non à la drogue, oui à la vie, une émanation de l’Eglise de scientologie, était hier midi aux Grandes-Bornes à Goussainville.
La semaine prochaine, ils iront dans le Val-de-Marne, puis à Grigny (Essonne) et Argenteuil.
« La Scientologie a compris depuis deux-trois ans qu’il était bon pour son image d’aller sur les lieux de détresse humaine, explique Jean-Michel Roulet, le président de la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires). On les a vus après le tsunami et l’ouragan Katrina. A la fin des émeutes, ils se sont précipités dans les banlieues. »
Outre Non à la drogue, oui à la vie, trois autres associations interviennent dans les cités. Toutes précisent sur leurs brochures être parrainées et financées par l’Association internationale des scientologues mais se gardent bien d’en souffler mot aux personnes abordées.
L’Association internationale des jeunes pour les droits de l’homme distribue DVD et brochures sur les discriminations. On a vu, après les émeutes, des équipes en veste jaune déferler à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) et proposer des cours de soutien scolaire à domicile et une aide à la rédaction de CV.
Mi-novembre, pour la Journée internationale des droits de l’enfant, toujours à Aulnay, les scientologues présentaient leur clip vidéo comme un message de paix et d’espoir.
Une autre association, Criminon, approche les familles de détenus à la sortie des parloirs pour les encourager à envoyer leurs brochures à leurs proches. « On est partout, là où il y a des jeunes touchés », justifie l’Eglise de scientologie, « mais on n’a pas besoin de cela pour faire du prosélytisme ».
Ce regain d’activité inquiète la Miviludes et les associations de lutte contre les sectes. « Cibler des endroits de vulnérabilité sociale est le propre de tout mouvement sectaire », détaille Catherine Picard, présidente de l’Unadfi (Union nationale des associations de défense des familles et des individus).
Tous appellent à la vigilance. Les associations ne sont pas les seules à s’inquiéter. Mardi soir, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a alerté les médias au sujet des messages provenant d’une des associations de l’Eglise de scientologie.