Sida : entretien avec le Nobel de médecine Barré-Sinoussi

Dernière mise à jour le 26/07/2016

La prix Nobel de médecine 2008, co-découvreuse du VIH, veut que la recherche d’un vaccin s’intensifie…

Source : Françoise Barré-Sinoussi, 61 ans, a reçu avec le professeur Luc
Montagnier le prix Nobel de médecine pour ses travaux qui ont permis,
en 1983, d’isoler le virus VIH. Lorsqu’elle a appris la nouvelle, ce
lundi, elle se trouvait à l’Institut Pasteur du Cambodge, où elle
dirige le site de l’Agence nationale de recherches sur le sida et les
hépatites (ANRS) en Asie du Sud-Est.

Interrogée à Phnom Penh au cours d’une réception à l’ambassade de
France, elle a rendu hommage aux militants des associations de lutte
contre le sida et s’est exprimée en faveur de l’accès aux médicaments
génériques pour les pays du Tiers-Monde.

Ce prix met-il fin à la polémique sur la paternité de la découverte du virus du sida?
De mon point de vue, cette polémique avait déjà trouvé son point final
depuis longtemps. Aujourd’hui, néanmoins, c’est le professeur Luc
Montagnier et moi-même qui avons été désignés, et pas l’équipe
américaine. Cela dit, il faut reconnaître les travaux des chercheurs
américains. Il est vrai qu’il s’est écoulé un long moment entre 1983 et
la remise de ce prix, mais ce n’est pas le premier exemple en la
matière, et cela ne provient pas de la polémique.

Aujourd’hui, où en est la recherche pour un vaccin contre le sida?
On ne peut absolument pas dire à quel horizon un vaccin sera
disponible, ni s’il existera un jour. Mais des pistes entières de la
recherche n’ont pas encore été abordées, et j’espère que, grâce à ce
prix, les efforts vont s’amplifier.

Françoise Barré-Sinoussi, peu après l'annonce de son prix Nobel («Têtu»)Dans les pays du Tiers-Monde, certains organismes américains continuent de considérer l’abstinence comme un des trois piliers de la prévention contre le sida, avec le préservatif et la fidélité…

Il est vrai qu’une classe d’hommes politiques américains organise des
campagnes sur l’abstinence, mais aujourd’hui, ils en sont bien revenus.
Sur le terrain, la grande majorité des professionnels, y compris
américains, ne se retrouvent plus dans la promotion de l’abstinence,
heureusement.

En France, après l’instauration des franchises médicales,
plusieurs patients ont annoncé une «grève de soins», et l’un d’entre
eux, séropositif, a arrêté son traitement pendant plusieurs mois. Que
pensez-vous de cette démarche?

Je suis proche des activistes des associations de lutte contre le sida,
qui ont beaucoup fait avancer les choses. Mais je ne me retrouverai
jamais dans une démarche aussi dangereuse, à titre individuel ou
collectif. Je ne comprends pas cette méthode, ce n’est pas une décision
juste, quel que soit le but recherché.

Approuvez-vous la volonté affichée de Roselyne Bachelot (non encore suivie de faits) de permettre aux gays de donner leur sang?
Je m’oppose fermement à toutes les discriminations. Mes amis activistes
ont raison de lutter contre elles, mais il faut trouver les moyens de
responsabiliser tous les donneurs de sang potentiels, et pas seulement
les homosexuels. Lorsque quelqu’un a un doute sur son statut
sérologique, il doit absolument éviter de donner son sang. Chacun doit
être responsable, c’est tout.

En 2007, un conflit a opposé Abbott au gouvernement
thaïlandais car le laboratoire refusait de baisser ses prix sur deux
antirétroviraux. Approuvez-vous la fermeté de Bangkok dans sa réaction?

Oui, c’est grâce à ce type d’actions, en mettant la pression sur les
grosses compagnies pharmaceutiques, qu’on a obtenu des résultats en
matière d’accès aux médicaments génériques dans les pays du Tiers-Monde.

Le Cambodge, où vous travaillez, est souvent cité comme un
exemple parmi les pays du tiers-monde dans le domaine de la lutte
contre le sida. Pourtant, le gouvernement a récemment adopté une loi
interdisant la prostitution, abandonnant sa politique «100%
préservatif» lors des rapports sexuels tarifés…

C’est vrai. Mais comme on le sait, ce type d’interdit n’est jamais
respecté. Je pense qu’en continuant à faire la promotion du préservatif
de façon générale, on touchera aussi les prostituées. J’espère aussi
que ce prix attirera l’attention des jeunes sur la nécessité de
continuer à se protéger, au moyen du préservatif et des antirétroviraux.

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