« Alerte à l’héroïne afghane »

Dernière mise à jour le 26/07/2016

Monsieur anti-drogue veut nous faire revenir dans les années 80…

Source : http://www.valeursactuelles.com/public/valeurs-actuelles/html/fr/articles.php?article_id=3335
Date : 25-09-2008

Entretien. Étienne Apaire, président de la Mission
interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, fait le
point sur l’évolution des trafics.

"Nous
pensons que la consommation d’héroïne va augmenter à nouveau", prévient
Étienne Apaire. Conséquence des stocks d’opium constitués en
Afghanistan.

La France, qui préside l’Union européenne,
veut faire adopter, avant la fin de l’année, un plan fondé sur la
coopération entre les États membres.

Cannabis, héroïne, cocaï­ne… Pourra-t-on, un jour, gagner la guerre contre la drogue ?
Il faut s’habituer à vivre avec la drogue. On n’arrivera jamais à
l’éradiquer totalement. Aujourd’hui, nous redoutons un retour de
l’héroïne, demain, l’arrivée des drogues de synthèse qui submergent
déjà les marchés asiatiques et américains.
Ce discours
n’est pas un discours désabusé mais bien de réalité. C’est comme les
vagues qui martèlent la côte : elles reviennent inlassablement. Il
n’est pas question de baisser les bras. Notre devoir est simplement de
construire les digues les plus solides possibles pour préserver nos
concitoyens et de poser des balises au large pour mesurer l’ampleur de
ces vagues.

Pouvez-vous dresser un "état de la menace" ?
Les données sont connues : une très forte consommation de cannabis, un
retour en force de la cocaïne (l’Europe est la première cible des
trafiquants d’Amérique du Sud), et nous pensons que la consommation
d’héroïne va progresser à nouveau.

Pourquoi ?
Tout simplement parce que la production d’opium, qui sert à fabriquer
l’héroïne, est très importante en Afghanistan, surtout dans les
provinces du Sud et plus précisément dans le Hilmand. Si cette drogue
s’était déversée sur l’Europe, son prix aurait déjà baissé. Or ce n’est
pas le cas. D’où deux hypo­thèses : soit l’opium a pris d’autres routes
(la Chine et l’Iran sont deux marchés immenses), soit il est stocké
avant d’être acheminé en Europe… Nous enregistrons d’ailleurs, depuis
quelques mois, une augmentation des saisies d’héroïne aux frontières et
sur le territoire français. Il y a eu, aussi, plus d’interpellations de
petits revendeurs dealant de l’héroïne. Pas de raz-de-marée mais nous
devons être très vigilants.

Comment lutter ?
Nous ne pouvons pas contrôler seuls les routes de la drogue, qui
commencent très loin de chez nous. La route de l’héroïne, par exemple,
c’est l’ancienne route de la Soie, qui passe par les Balkans. C’est une
affaire internationale. La France a préparé l’adoption du plan européen
de lutte contre la drogue. Ce sera fait avant la fin de l’année. Nous
proposons la création de plates-formes européennes sur les routes
qu’empruntent les trafiquants : il faut nous associer pour les
contrôler. Certaines de ces plates-formes sont déjà opérationnelles.
C’est le cas du MAOC-N (Maritime Analysis and Operations
Centre-Narcotics) à Lisbonne, chargé de contrôler la route de la
cocaïne qui traverse l’Atlantique, en provenance d’Amérique du Sud.
Nous allons en installer une autre à Toulon pour contrôler le trafic en
Méditerranée. Nous surveillons aussi le trafic des produits
"précurseurs" qui permettent la transformation de l’opium en héroïne.
C’est un gros travail qui suppose une coopération internationale.

Peut-on lutter contre l’augmentation de la production, sur place ? C’est
difficile. En Afghanistan, la production se développe surtout dans les
provinces du Sud, où sont établis les talibans. Il est clair que le
commerce de l’opium finance l’achat d’armement : « Les soldats de
l’Otan sont tués par des armes achetées avec les revenus de la drogue
», résume Antonio Maria Costa, qui dirige l’Office des Nations unies
contre la drogue et le crime. À dé­faut de pouvoir combattre
efficacement la production, il est important d’améliorer le suivi de
l’argent de la drogue. Il est plus facile d’identifier le patrimoine et
de bloquer les avoirs d’un trafiquant afghan que de lutter loca­lement
contre la surproduction ­d’opium.

Peut-on néanmoins faire pression sur les autorités locales ?
Les pays producteurs ne sont pas épargnés par ce fléau. On estime le
nombre d’héroïnomanes à 3 millions au Pakistan, à un million en
Afghanistan. Localement, la corruption passe d’abord par le don de
drogue en nature. C’est une réalité qu’ils ne peuvent pas ignorer. Nous
nous appliquons à leur expliquer qu’ils mettent le doigt dans un
terrible engrenage.

Et chez nous, que pouvons-nous faire ?
De la prévention, adaptée à l’évolution des consommations. On a
désormais des usagers polytoxicomanes et des vendeurs "multicartes", si
j’ose dire. C’est nouveau. Auparavant, les petits trafiquants ne
proposaient qu’un seul produit. Maintenant, les dealers de cannabis
vendent aussi de la cocaïne et de l’héroïne, plus ou moins titrée. Ils
proposent d’abord de la cocaïne puis, ensuite, de l’héroïne pour se
calmer parce que la coke, ça excite… Les modes de consommation ont
aussi évolué : l’héroïne est moins injectée, et est de plus en plus
souvent "sniffée" ou fumée. Les policiers ont interpellé dans l’est de
la France des jeunes usagers qui consommaient de l’héroïne coupée, peu
chère, dont on ne mesure les effets qu’après-coup. Pour les
trafiquants, c’est une façon de les amener à consommer. D’autant plus
que ces nouvelles générations connaissent mal les risques liés à
l’héroïne. Il y a par ailleurs un grand travail de mobilisation des
adultes à accomplir pour qu’ils sachent relayer nos messages auprès des
plus jeunes.

On a beaucoup communiqué, ces dernières années, sur les dangers du canna­bis. Trop ?
Non, il fallait le faire car les jeunes ne mesuraient et ne mesurent
toujours pas les risques, mais il faut aussi adapter le message. La
France a mis l’accent, ces dernières années, sur le traitement
sanitaire de la drogue et les soins apportés aux toxicomanes, sans trop
s’inquiéter des entrées en consommation. Notre but est aujourd’hui
clairement de dissuader les ­jeunes de consommer pour éviter ­d’avoir à
les soigner ou à les juger. C’est l’objet du nouveau plan
gouvernemental de lutte contre les drogues 2008-2011, validé par le
premier ministre. Il faut que les jeunes en particulier, et la société
dans son en­semble, aient le réflexe de dire non à toutes les drogues,
quel que soit le produit. Ce sera le but de la nouvelle campa­gne de
communication que nous lancerons l’an prochain.

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