Aborder autrement les drogues

Dernière mise à jour le 26/07/2016

Réfléxions et propositions pour la politique de drogues en France

Source : http://www.lautrecampagne.org/article.php?id=94 
Date : avril 2007
Aude Lalande

Qu’est-ce qu’une drogue, au sens strict ?

Moins un produit dangereux qu’un produit illégal. Les politiques
occidentales des drogues sont construites sur l’interdit : d’un côté
elles s’efforcent de contrôler l’usage des substances les mieux
assimilées culturellement (alcool, tabac) ; de l’autre elles
interdisent, avec violence et détermination, la consommation des
autres, jugées trop dangereuses. Mais c’est peu dire que l’interdit ne
marche pas : en Europe aujourd’hui une personne sur cinq a goûté au
cannabis, et la cocaïne ne cesse de progresser. Et qu’en cas d’échec il
est contre-productif : l’invisibilité des consommations illégales est
telle, actuellement, que leurs conséquences médicales sont assez mal
connues ; les problèmes sociaux qu’elles soulèvent tiennent en grande
part à leur statut juridique : aux prix pratiqués sur le marché noir,
qui expliquent souvent les actes de délinquance, ou aux sanctions
judiciaires auxquelles elles exposent. Près de quarante ans après la
promulgation de sa loi « de lutte contre la toxicomanie » (1970), le
système français explose. Face à une majorité de consommations légales,
une minorité d’usagers vit ses consommations dans des conditions
d’invisibilité totale (tant qu’elle y parvient) ou de visibilité
extrême (les plus pauvres alimentant la toxicomanie de rue). Et entre
les deux le système craque : de produit minoritaire le cannabis devient
majoritaire (il concerne 47,6% des 18-25 ans) et engendre aujourd’hui
plus de poursuites policières que de problèmes de santé.

 

Comment sortir de la réponse punitive, tout en offrant des moyens de sécuriser les pratiques ?

Changer radicalement de système, autoriser et organiser l’usage et
la circulation de psychotropes à usage récréatif, et non médical,
paraît aujourd’hui difficile ; des paliers sont nécessaires. Confirmer
et prolonger les brèches ouvertes depuis vingt ans dans l’interdit est
possible en revanche. Modifier l’environnement législatif de la
consommation aussi.

 

Confirmer et prolonger l’existant

« Une société sans drogue, ça n’existe pas » reconnaissait déjà il y a sept ans un livret ministériel d’information[1].
Aucune drogue n’est dangereuse par elle-même, pourrait-on ajouter. Tout
dépend de l’usage qu’on en fait : des doses prises, de l’activité à
laquelle on les associe, de la fréquence à laquelle on consomme. Mais
leur utilisation présente des dangers : comportementaux (agressivité
mal contrôlée, danger au volant), sociaux (attitudes mal acceptées,
appauvrissement lié à la surconsommation), médicaux (accidents,
maladies à plus ou moins long terme), psychologiques (délires,
paranoïa, etc.), et celui de devenir dépendant. Une politique des
drogues réaliste et pragmatique devrait se fixer pour enjeux, dans le
sillage et la confirmation des politiques de « réduction des risques »
et de soin mises en place depuis vingt ans :

1. de construire des politiques de prévention efficaces : qui sachent s’adapter à la diversité des pratiques (distinguer le simple usage des conduites d’abus ou de dépendance,
les différents types de produits et les façons de consommer ? par
injection, sniff, voie orale) ; prendre en compte les représentations
des usagers ; mobiliser les compétences (stimuler la recherche ; former
les médecins) ;

2. de sécuriser autant que possible les pratiques :
par la mise à disposition de matériels stériles (kits d’injection ou de
sniff, pipes à crack) ; d’espaces de repos et de prévention dans les
lieux de fêtes (teknivals, raves, clubs) ; de salles de consommation
pour les usagers qui vivent dans la rue ; la diffusion de tests de
composition des produits qui permettent de limiter la circulation de
produits de nature incertaine ou frelatée (testing) ;

3. d’aider ceux qui le souhaitent à s’extraire de la dépendance,
avecdes ressources diversifiées et renforcées : une offre de produits
de substitution élargie (y compris aux formes injectables) ; des
structures d’accueil plus nombreuses (cures, postcures, dispositifs
d’hébergement).

 

Modifier l’environnement législatif de la consommation

Atteindre ces objectifs impose cependant de modifier le cadre législatif :
Parce qu’on ne peut espérer construire une prévention efficace sans dépénaliser la parole :
en interdisant de présenter les drogues sous un jour positif, la loi
actuelle fait de la plus haute raison de leur dangerosité, le plaisir
qu’elles procurent, le message de prévention le moins énonçable. Si la
publicité pour les drogues doit être interdite, le plaisir qui en fait
l’expérience, et la complexité de sa gestion, doivent pourtant pouvoir
être entendus.

Parce qu’on ne peut espérer sécuriser les pratiques sans dépénaliser la consommation : outre que, pour des raisons éthiques, personne ne devrait être emprisonné pour simple usage de drogues [2],
on ne peut avoir de clairvoyance sur les pratiques, ni sur les moyens à
mettre en ?uvre pour les sécuriser, si leur illégalité contraint à les
cacher. Le recours à la punition devrait se concentrer sur les dangers
comportementaux, qui mettent en jeu la sécurité de tiers. Le reste
relève de la prévention ou du soin.

Pour limiter, enfin, les nuisances liées au marché noir : réglementer et/ ou peser sur l’offre,
même à la marge, constitue le seul moyen de limiter les violences liées
au marché d’une part, à la circulation de produits frelatés d’autre
part.

Le cannabis connaît aujourd’hui en France un tel
degré d’intégration que son usage pourrait sans risque être réglementé
selon le modèle hollandais, qui combine dépénalisation de la consommation et réglementation de la distribution.
Non seulement ce modèle a fait ses preuves aux Pays-Bas, mais il dément
le risque d’une « épidémie » : le taux moyen de fumeurs de cannabis y
est plus bas qu’en France ou en Grande-Bretagne.

Le testing des autres produits doit être légalisé :
interdit depuis avril 2005, l’usage de cette technique a pourtant
montré qu’elle pesait tant sur la qualité des produits que sur le
niveau de connaissances et d’exigence des usagers. Sa diffusion
constituerait un contrepoids au cynisme du marché : moins désarmés,
mieux informés, les consommateurs pourraient peser sur l’offre.

Ces quelques mesures peuvent être mises en place immédiatement.
Voies de sortie d’une « guerre totale à la drogue » qui a fait trop de
dégâts, elles doivent aussi constituer l’amorce d’un processus plus
large, qui puisse sortir les drogues de l’interdit. Expérimenter des
effets psychotropes, pour le plaisir, pour l’expérience ou pour trouver
remède à ses maux, n’est ni un vice, ni une maladie. Juste une
constante de l’histoire des hommes.

[1]
Introduction du livret « Drogues, savoir plus, risquer moins », Mission
Interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie (MILDT),
2000.
[2] En 2005 les incarcérations pour simple usage avaient augmenté de 18,5% par rapport à l’année précédente (Libération, 19 avril 2006)

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