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source : http://www.arcat-sante.org/
date : 06/01/2009
Usagers de drogues
L’un des principaux vecteurs du VIH dans les années 80 refait des adeptes en France. Cette « tendance alarmante » a été annoncée par les autorités l’été dernier. De quoi justifier le retour de réflexes répressifs en matière de drogues ?
Technoïdes
A vrai dire, les deux derniers rapports du dispositif Trend (1), sur lesquels se fonde cette mise en garde estivale, cantonnent la menace. L’usage d’héroïne demeure « le fait d’une population masculine âgée en général de plus de 30 ans, le plus souvent bénéficiaire d’un traitement de substitution », comme le souligne l’observation pour 2006 de l’Office français des drogues et des toxicomanies (OFDT). « Il s’agit en général d’un usage occasionnel ». Et pour cette génération-là, les risques de contamination par le VIH, le VHB et le VHC sont a priori bien connus.
Mais parmi les populations fortement consommatrices de psychotropes qu’observe le dispositif Trend, d’autres amateurs d’héroïne ont été repérés. Le rapport cite des « jeunes en situation de grande précarité sociale (errance, nomadisme) et évoluant aux frontières de l’espace urbain et de l’espace festif », ou encore des « primo-consommateurs de buprénorphine haut dosage (Subutex®) qui s’engagent dans une consommation d’héroïne dans un second temps ». Au-delà, « au cours de ces dernières années, l’usage s’est progressivement, quoique modérément, étendu à des usagers plus jeunes, relativement intégrés sur le plan social. Ceux-ci entamant souvent dans un cadre festif un usage intermittent d’héroïne. Ils l’utilisent en général pour gérer la descente », provoquée par l’ecstasy par exemple. Notamment en rave
Dans une enquête menée par l’OFDT sur la scène électronique en 2004 et 2005, 8 % des personnes rencontrées en avaient consommé le mois précédent ils étaient même 15 % dans le milieu le plus alternatif (2). Alors que les technoïdes des années 90 stigmatisaient l’héroïne, le produit a pu d’abord avancer masqué sous le surnom de « rabla ». Ce « faux nez ne les trompe plus désormais ; mais selon l’OFDT le produit serait désormais plus « fascinant » dans les teufs, son image devenant « de plus en plus positive à mesure que l’on s’éloigne de la figure archétypale du toxicomane injecteur des années 80 ». La « brune » serait aussi plus disponible ; elle ne coûtait que quelque 40 euros le gramme en 2006 (3).
L’héroïne ne revient pas nécessairement avec l’usage de la seringue. « Schématiquement, l’injection domine au sein des populations qui fréquentent les structures de première ligne (4), résume le rapport. Le sniff et dans une moindre mesure la fumette sont les modes d’administration prédominants de la population rencontrée au sein des événements festifs électroniques techno. » L’OFDT note toutefois une « porosité » croissante entre ces deux milieux et ces deux modes d’usage. Les risques de l’injection pourraient donc concerner de nouveaux consommateurs.
Sur le terrain, ici et là, bien des observateurs confirment. A Keep smiling, une « association d’autosupport en milieu festif » en Rhône-Alpes, la coordinatrice Valérie Galvan voit bien circuler « de plus en plus d’héroïne, particulièrement depuis deux ou trois ans, sous le nom de « rabla ou de « dré. Les injections sont aussi plus fréquentes, pour l’héroïne, mais aussi la cocaïne ». De son côté, Claude Bartolone, le président du conseil général de Seine-Saint-Denis, a pu rapporter aux Rencontres nationales de la réduction des risques (voir encadré) que « l’héroïne et la pratique de l’injection semblent de retour et nous sont signalées de façon récurrente sur plusieurs points du département ». Quant à Fabrice Olivet, directeur d’Asud, il estime que si « l’héroïne a quitté la rue avec le Subutex® et les cachetons, elle a depuis longtemps glissé dans des milieux insérés, qui gèrent leurs consommations avec la substitution ». Même dans le très rural Pays de Rance, le procureur de la République Eric Bouillard observe une « dissémination très importante de l’héroïne, dans de nombreux milieux » de son ressort de Dinan. Au ministère de l’Intérieur, l’OCRTIS (5) dévoile enfin que les saisies d’héroïne étaient tombées à 212 kg en 1999, avant de rebondir à 512 kg en 2000, puis dépasser la tonne dès 2006.
« Légitimer la répression »
Faut-il donc redouter une nouvelle vague d’infections au VIH, au VHB et au VHC chez ces nouveaux usagers ? « Impossible, avance Fabrice Olivet. Même les nouvelles générations ont intégré la réduction des risques ! » Quant à l’association de santé communautaire Techno plus, elle compte simplement maintenir son dispositif face à cet opiacé : depuis 1999 elle diffuse en fêtes un flyer d’information, et depuis plusieurs années des kits d’injection ainsi que des « roule ta paille » pour sniffer sans partager le VHC. A vrai dire, cette soudaine alerte à l’héroïne agace assez les acteurs de la réduction des risques. « On avait constaté cette augmentation de la consommation dès 1999, s’étonne Fabrice Perez à Techno plus. Et depuis, nous n’avons pas remarqué de croissance particulière ». Selon lui, « la rabla reste stigmatisée : on a constaté l’an dernier que le terme de « rablateux » était aussi péjoratif que le mot « toxico » chez certains » Chez Médecins du Monde, Marie Debrus relativise aussi : « Oui, il y a une consommation d’héroïne en milieu festif, mais elle n’est vraiment pas majoritaire et n’est vraiment pas notre préoccupation principale. Ce qui nous pose problème, ce sont l’alcool, les polyconsommations, les stimulants ! »
Fabrice Perez craint plutôt un autre flash-back : « On se demande si ce retour annoncé de l’héroïne ne permet pas de justifier une politique moralisatrice axée sur le « non à la drogue et la stigmatisation, comme dans les années 80. » Fabrice Olivet acquiesce. « Je pense que cette annonce est dirigée vers l’opinion publique et les députés, pour légitimer la répression. Car la meilleure façon de la promouvoir est de faire avancer l’inquiétude. »
De fait, selon Marie Debrus, malgré l’épidémie de VHC chez les usagers, « on a reculé de quinze ans dans la réduction des risques. Avec les nouvelles peines plancher en cas de récidive, les usagers de drogues vont de plus en plus en prison. Les forces de l’ordre reprennent leurs contrôles d’identité, sur les usagers des programmes d’échange de seringues, et même sur nos intervenants » Le retour annoncé de l’héroïne ne sert donc vraiment pas d’argumentaire aux promoteurs de la réduction des risques. Le revival de la répression les inciterait, bien plus, à raviver le débat sur la dépénalisation
Olivier Bonnin
Roselyne Bachelot-Narquin au panthéon de la réduction des risques ?
Roselyne Bachelot-Narquin deviendra-t-elle la prochaine « grande dame de la réduction des risques », après Michèle Barzach, Simone Veil, Nicole Maestracci et Anne Coppel ? Accueillant la ministre de la Santé à l’ouverture des 2e Rencontres nationales de la réduction des risques, le 16 octobre à Bobigny, Valère Rogissart l’a incitée à rejoindre ce « quarteron de combattantes des idées reçues ». Le vice-président de l’AFR (1) lui a aussi donné une piste d’action : « Les incohérences induites par la pénalisation des drogues constituent un frein majeur au développement de la réduction des risques »
Répondant face à quelque 600 participants, Roselyne Bachelot-Narquin s’est engagée à prendre « les mesures qui s’imposent aujourd’hui pour lutter contre le VHC, comme a su le faire en son temps Michèle Barzach ». Mais après avoir estimé qu’il n’est « pas interdit d’interdire », la ministre n’a annoncé que des « évaluations » en matière de réduction des risques notamment face aux méthodes d’éducation aux risques de l’injection. Satisfaisant ? « On ne s’attendait pas à ce qu’elle nous annonce la dépénalisation », sourit après-coup Valère Rogissart. Il juge désormais crucial de connaître les « détails » de ces annonces. Et garde l’espoir que la ministre de la Santé rejoigne Michèle Barzach au panthéon de la réduction des risques
O.B.