Des médecins iraniens spécialistes du sida jugés à huis clos

Dernière mise à jour le 18/07/2016

Un étudiant en médecine musulman s’exprime lors d’une veillée pour les frères Alaei devant la mission iranienne auprès des Nations unies, septembre 2008. © Jonathan Hutson, PHR

8 janvier 2009 Les frères Arash et Kamiar Alaei, deux médecins iraniens détenus sans inculpation depuis six mois, attendent actuellement le verdict du procès au cours duquel ils ont été jugés à huis clos à Téhéran (Iran) le 31 décembre 2008, devant un tribunal révolutionnaire, dans des conditions non conformes aux normes d’équité.

Spécialistes dans la prévention et la prise en charge du VIH/sida, ils travaillent depuis près de dix ans sur des programmes concernant le VIH et le sida en Iran, et en particulier sur la réduction des risques chez les consommateurs de drogues injectables.

 

Amnesty International craint qu’ils ne soient détenus pour leurs opinions. L’organisation et ses membres à travers le monde, ainsi que des organismes internationaux, ont maintes fois demandé qu’Arash et Kamiar Alaei soient libérés, ou inculpés d’une infraction dûment reconnue par les lois internationales. Malgré ces appels répétés, les autorités iraniennes ont privé les deux frères d’un procès équitable.

Le 30 décembre 2008, lors d’une conférence de presse, le porte- parole du pouvoir judiciaire iranien, Alireza Jamshidi, a déclaré qu’Arash et Kamiar Alaei étaient inculpés d’« agissements portant atteinte à la sécurité nationale par leur coopération avec l’Amérique », de « propagande contre le régime » et d’« appartenance à des groupes hostiles au régime ».

L’une de ces accusations correspondrait à l’article 508 du Code pénal iranien, qui prévoit jusqu’à dix ans d’emprisonnement pour « coopération » avec un « gouvernement ennemi », bien qu’il ne définisse ni ce qui constitue cette « coopération » ni ce que signifie « gouvernement ennemi ».

À plusieurs reprises, Amnesty International a attiré l’attention sur la longue liste d’articles formulés en termes vagues qui font référence à la coopération et à la « sécurité nationale » dans le Code pénal iranien. Ces articles interdisent toute une série d’activités, notamment celles liées aux débats publics et, comme c’est le cas dans cette affaire, aux contacts avec des organismes internationaux.

L’accusation aurait dit que si les deux frères ont participé à des conférences internationales sur le sida, c’était parce qu’ils planifiaient de fomenter une présumée « révolution de velours » contre Téhéran.

« Les contacts avec des organismes de santé publique et universitaires internationaux ayant pour but le partage des connaissances et l’accès au meilleur traitement possible pour les personnes infectées par le VIH et le sida devraient être reconnus et non criminalisés », a déclaré Drewery Dyke, chercheur spécialiste de l’Iran à Amnesty International.

Le déroulement de leur procès d’une journée ne répondait pas aux conditions d’équité les plus élémentaires. Lors de l’audience, le procureur aurait refusé de porter à la connaissance de l’assistance certaines accusations portées à l’encontre des frères Alaei. Par conséquent, leur avocat, Masoud Shafie, ne connaissait pas tous les chefs d’inculpation et il ne pouvait donc pas préparer une défense efficace. Il n’a pas été autorisé à examiner toutes les pièces à conviction et n’aurait pas eu véritablement la possibilité de réfuter les arguments de l’accusation.

Jonathan Hutson, porte-parole de l’organisation Médecins pour les droits humains, a déclaré que « les accusations annoncées publiquement étaient infondées, sous-tendues par des motivations politiques et illégitimes ; [Arash et Kamiar Alaei] n’étaient coupables d’aucune infraction. C’étaient de bons médecins. » Au moment du procès, les deux frères avaient été maintenus en détention cinq mois de plus que ne le prévoit le Code de procédure pénale iranien. L’article 33 du Code dispose en effet que les affaires doivent être jugées dans un délai d’un mois à compter de l’arrestation. Le maintien en détention peut être temporairement prolongé mais, dans le cas des frères Alaei, il n’est pas certain que le placement en détention ait été motivé, comme cela est prévu, ni que les deux médecins aient eu la possibilité de contester cette décision.

Qui sont les frères Alaei ? Le Dr. Arash Alaei a été arrêté par les forces de l’ordre iraniennes le 22 juin 2008. Le lendemain matin, il a été escorté jusqu’au domicile de sa mère à Téhéran, où son frère, le Dr. Kamiar Alaei, a également été arrêté. En outre, des documents appartenant aux deux hommes ont été saisis.

Kamiar Alaei prépare une thèse de doctorat à l’école de santé publique de l’université d’État de New York (SUNY) à Albany (État de New York). Il devait reprendre ses études en septembre dernier. Il est titulaire d’un master de l’école de santé publique de Harvard (Boston) portant sur la population et la santé internationale.

Arash Alaei a été directeur de la formation internationale et de la coopération dans le domaine de la recherche au sein de l’Institut national iranien de recherche sur la tuberculose et les pathologies pulmonaires.

Depuis 1998, les frères Alaei travaillent sur des programmes de prévention et de traitement du VIH/sida, et en particulier sur la réduction des risques chez les consommateurs de drogues injectables.

Le travail des deux frères auprès des toxicomanes et des prostituées de Téhéran a fait l’objet d’un documentaire télévisé de la BBC en 2004, Mohammed and the Matchmaker, dans lequel Kamiar Alaei déclarait : « Nous pourrions être confrontés à un vaste problème lié au VIH en Iran et, afin de commencer à y faire face, nous devons en évoquer les causes profondes. […] Beaucoup de gens ont encore peur d’en parler. Certaines personnes infectées par le VIH sont exclues et mises à l’index, et elles se trouvent souvent très isolées. »

Outre leur travail en Iran, les frères Alaei ont dispensé des cours de formation à des professionnels de la santé afghans et tadjiks, et ils ont encouragé la coopération régionale entre 12 pays du Moyen- Orient et d’Asie centrale.

Leurs actions ont permis d’accroître les connaissances et les compétences des médecins de la région, de faire progresser la médecine et de faire de l’Iran un modèle de bonne pratique reconnu par l’Organisation mondiale de la santé.

La communauté internationale a salué l’action de l’Iran face au VIH et au sida – action au moins partiellement initiée par Arash et Kamiar Alaei –, et en particulier les mesures préventives préconisées par les deux frères.

D’après le Rapport sur l’épidémie mondiale de sida 2008, publié par l’ONUSIDA le 29 juillet 2008 et disponible sur le site www.unaids.org, « l’appui […] aux projets d’échange de seringues dans des pays tels que la République islamique d’Iran […] constitue un exemple manifeste de leadership courageux, visionnaire, pour la riposte au VIH. »

Cependant, le gouvernement du président Mahmoud Ahmadinejad, qui a pris ses fonctions en août 2005, a commencé à supprimer l’aide accordée à ces projets.

Plus de 3 100 médecins, infirmiers et autres professionnels de la santé originaires de plus de 85 pays ont signé une pétition en ligne réclamant la libération des frères Alaei. Cette pétition peut être signée sur le site http://www.iranfreethedocs.org.

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