Jean-Pierre Galland : « L’air du temps n’est pas à la liberté »

Dernière mise à jour le 18/07/2016

Interview de Jean-Pierre Galland qui dénonce une société liberticide…

Source : http://www.article11.info/spip/spip.php?article36

Date : 8 août 2008

Certains jugeront qu’à l’heure des
rafles de sans-papiers et des attaques sarkozystes contre notre système
social, son combat est anecdotique. Plus amusant qu’autre chose.
Marginal… Erreur ! D’abord parce que Jean-Pierre Galland, apôtre de la
dépénalisation du cannabis et président du Collectif d’information et
de recherche cannabique (Circ) [1], est un militant. Un vrai. Les innombrables tracasseries subies, les
multiples procès intentés et les amendes récoltées à la pelle suffisent
à le prouver. Au-delà, la façon dont son combat est perçu par la
société est révélatrice. Et à l’évidence, elle n’a jamais été aussi
bloquée sur la question.


Tout avait pourtant bien commencé… Si la création du
Collectif d’information et de recherche cannabique, né en en 1991 avec
pour objectif la légalisation de la production, de la distributions et
de l’usage de cette plante, est passée plutôt inaperçue, ses membres
ont su ensuite se faire connaître. Des procès intentés, ils ont fait
des tribunes, assénant devant les juges leurs nombreux arguments en
faveur de la dépénalisation. Des journalistes, ils se sont faits des
soutiens, tant leur mot d’ordre était sympathique et leurs opérations
médiatiques. Partisans de l’agit-prop façon provos, les militants du
Circ savaient faire sourire, qu’ils réactivent l’Appel du 18 joint ou
qu’ils organisent l’opération Pétards aux députés,
qui vit 577 joints et une lettre ouverte en faveur de la dépénalisation
envoyés aux élus de l’Assemblée. Christine Boutin faillit en avaler son
écharpe… A chaque fois, Jean-Pierre Galland a été le premier à monter
au créneau, sans se laisser démonter par les amendes salées.
Las, les temps ont changé. Se sont faits plus moralistes, moins
tolérants, bêtement réactionnaires. Le combat du Circ est devenu de
moins en moins audible dans une société qui préférait les grandes
généralités débiles, à l’exemple de ce rapport sénatorial de 2003
sobrement intitulé Drogue : l’autre cancer , aux
discours des anti-prohibitionnistes. Bref, tolérance zéro, une attitude
symbolisée par les prises de position du ministre de l’Intérieur, puis
président, Nicolas Sarkozy sur la question… Dans ce monde-ci, le
libertaire Jean-Pierre Galland n’a plus tellement sa place. Mais
qu’importe, il résiste. Toujours en pétard…


Les fumeurs de pétards n’ont plus tellement la cote, en ce moment…

C’est clair que l’air du temps n’est pas à la liberté.
Et le retournement de situation, à propos du cannabis comme de tout le
reste, a été très rapide : nous sommes passés d’une époque, il n’y a
pas si longtemps, où la dépénalisation semblait imminente à l’inverse
absolu… Je suis effaré par ce à quoi nous avons droit aujourd’hui : des
lois scélérates, un flicage permanent et une hygiénisation croissante
de la société. Cette idée que l’État doit lutter pour notre bonne
santé, y compris en empiétant sur nos droits individuels, me hérisse.

Pourtant, les gens l’acceptent.

Les gens… Ils sont souvent prêts à croire tous les
discours, y compris celui qui stigmatise les drogues. Pour une bonne
raison : la France n’a pas de vraie politique d’éducation,
d’information et de prévention en la matière.

Ça a été le rôle du Circ, à une époque. Ça l’est encore ?

C’est plus difficile aujourd’hui. Si le Circ Paris
compte encore 60 adhérents, il n’y a plus que trois ou quatre militants
réellement actifs. Bref, plus grand monde… A force de ne pas voir les
résultats de leurs efforts, les militants se sont fatigués. Et les
quelques plumes ou intellectuels qui nous soutenaient auparavant ont
tous déserté : je me retrouve seul à écrire les textes et les
communiqués. J’ai un peu l’impression de porter le Circ à bout de bras.

C’était déjà le cas quand tu acceptais de te retrouver au tribunal à titre personnel pour les actions intentées, non ?

Notre tactique était de profiter de toutes les
occasions de répercuter nos arguments et de faire le procès de la loi
de 1970, qui interdit tout débat sur la question des drogues [2].
A titre personnel, je ne me suis jamais préoccuppé de ce que je pouvais
risquer, pensant que l’important est juste de rester sincère. Et puis,
les militants m’ont aidé à payer les centaines de jours-amendes
auxquels j’ai été condamnés.

Avant, tu avais le soutien des médias, dont Libération ou Le Nouvel Obs, et de quelques politiques. C’est fini ?

Oui, bel et bien fini… C’est vrai que certains médias
ont relayé notre combat à une époque. Lors de la campagne
présidentielle de 2002 par exemple, quand le cannabis était un vrai
enjeu et qu’on avait l’impression de de voir notre lutte aboutir. Et
puis, Chirac est passé après ce deuxième tour effrayant contre Le Pen…
Depuis, nous n’intéressons plus personne.

Quant aux politiques… Il fut un temps où nous étions
proches des Verts, de Jean-Luc Benhamias ou de Dominique Voynet. En
1995, nous nous sommes même chargés de la partie « cannabis » de leur
programme : c’était un vrai brûlot. A l’époque, on sentait chez eux une
vraie volonté de changer les choses, même s’il y entrait une part
d’opportunisme. Aujourd’hui, ils ont pris le tournant hygiéniste.
En fait, nous ne comptons plus que la LCR parmi nos soutiens
affichés : Besancenot a un discours intelligent et sincère sur le
cannabis. De même que les anarchistes, qui ne nous ont jamais
abandonné [3]

Des procès en rafale, des
militants qui se réduisent comme peau de chagrin et une société qui
voit ton combat d’un très mauvais oeil : tu ne te dis pas que tu
devrais passer l’éponge ?

Une fois que tu es dans le mouvement, tu ne t’arrêtes
pas. D’autant que tu t’attends toujours à ce que ça aille dans le bon
sens… En 1995, il nous semblait évident que le cannabis serait
dépénalisé avant 2000. On voit le résultat… Mais je n’arrive pas à
abandonner. J’y ai songé plusieurs fois sans m’y résoudre.

Au fond, c’est paradoxal : la
dépénalisation ne semble plus intéresser grand monde mais la France
fume (presque) toujours autant.

On compte en France 1,2 millions d’usagers réguliers du
cannabis, dont 600 000 en font un usage quotidien. Tous ces gens
continuent à fumer, quelque soit le niveau de répression. C’est
d’ailleurs ce que prouve une récente étude de L’Organisation mondiale
de la Santé, qui montre que les pays les plus répressifs sur la
question sont aussi ceux qui comptent le plus grand nombre d’usagers de
drogues [4].
C’est tellement ridicule de mettre des gens en prison parce qu’ils
fument… Juste un chiffre, d’ailleurs : il y avait 900 interpellations
liées au cannabis en 1970, on en compte déjà pas loin de 80 000 pour le
seul premier trimestre de 2008. C’est clair, dépénaliser permettrait de
régler le problème de surpopulation dans les prisons…

Le dernier rapport de la Mission
interministérielle de lutte contre les drogues et les toxicomanies
pointe le développement de l’auto-production. A juste titre ?

C’est sûr que l’auto-production est à la hausse, qu’elle soit destinée à la vente ou à une consommation privée [5].
Selon l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, 200 000
Français cultivent leur propre herbe. Ce qui représente une production
annuelle de 32 tonnes : un joint sur neuf fumé en France est issu d’une
culture locale ! Arrêtons de nous voiler la face, dans certaines
régions, la culture du cannabis contribue à l’essor économique… Je
préfère acheter de la « beuh bio » à un petit paysan plutôt que dans
une cité. Non seulement, je n’enrichis pas le crime organisé, mais
paradoxalement je préserve ma santé : comme chacun sait, l’herbe coupée
aux microbilles de verre est particulièrement nocive [6]

La dépénalisation, tu y crois encore ?

Je ne sais plus… Je pensais que ça changerait à cause
du côté absurde et grand-guignolesque d’une prohibition qui ne fait
qu’aggraver le problème. Il me semblait que tout personne censée ne
pouvait, à terme, qu’en convenir et se ranger à la raison. Aujourd’hui,
on en est bien loin… Même si… tu sais, si je n’y croyais plus,
j’arrêterais.

Ce côté combat un peu perdu d’avance, c’est dur à vivre ?

C’est vrai que ça finit plutôt mal pour le cannabis.
Pour moi aussi, d’ailleurs. Je me retrouve Rmiste parce que je n’arrive
pas à vivre de ma passion, du seul truc qui m’intéresse : l’écriture.
Je ne me sens pas intégré, je survis, j’ai appris à vivre avec dix
euros par jour.

Tu penses que l’étiquette « dépénalisation » te colle trop à la peau ?

Pas totalement. Il ne faut pas se leurrer, ça m’a fait
aussi plaisir de me retrouver sur le devant de la scène, porte-parole
de cette cause. J’ai eu mon quart d’heure de gloire… Mais c’est vrai
qu’aujourd’hui, c’est moins rigolo : je me retrouve seul et j’ai un peu
peur de ne pas être soutenu si les flics décident de me tomber dessus.


Pour ceux qui voudraient soutenir Jean-Pierre Galland et le combat du Circ, rendez-vous sur le net, ICI ou LA .

Notes

[1] [ Il est aussi l’auteur de nombreux ouvrages sur le sujet : Fumée Clandestine, tome I et II, et Cannabis : nouvelles du front aux éditions du Lézard et J’attends une récolte aux éditions Trouble Fête.

[2] Cette loi du 31 décembre 1970, « relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l’usage des stupéfiants »,
se montre d’une grande sévérité envers l’usager de drogue. De plus,
l’article L 34 21 – 4 du Code de la santé publique, article issu de la
loi de 1970, punit d’amende et d’emprisonnement toute « présentation sous un jour favorable de stupéfiant », empêchant tout débat public sur les drogues.

[3]
Aujourd’hui encore, ils permettent au Circ de se faire entendre. Une
fois tous les quinze jours, le dimanche, Radio Libertaire accueille Y a d’la fumée dans le poste, une (bonne) émission réalisée par un membre du Circ : ça se passe de 18 h 30 à 20 h 30 sur 89.4 ou en streaming sur le net.

[4] « Les
pays dotés d’une législation sévère à l’encontre des consommateurs
n’enregistrent pas des taux de consommation inférieures à ceux des pays
bénéficiant d’une législation plus libérale (…) Il semble donc évident
qu’une politique répressive quant à la possession et la consommation de
drogues n’intervient que partiellement sur les taux de consommation de
substances illégales à l’échelle des pays
 », écrit ainsi l’OMS. Le journaliste Arnaud Aubron revient sur cette étude dans un billet posté sur Rue89. Et écrit notamment : « Il
apparaît ainsi (…) que les Etats-Unis sont, et de loin, les principaux
consommateurs de cocaïne et de cannabis au monde, alors qu’ils mènent
également l’une des politiques les plus répressives.
 »

[5] [Un sujet que Jean-Pierre Galland abordait récemment sur Rue 89, prenant la plume pour rappeler que les cannabiculteurs « sont
des gens comme vous et moi qui ne présentent aucun danger pour la
société et ne méritent pas qu’on les traque comme de vulgaires
producteurs de drogue. Leurs revendications ? Qu’on cesse de les
prendre pour des imbéciles, que le gouvernement cesse de les
infantiliser et que la raison l’emporte enfin sur l’absurdité
. » A lire ICI.

[6]
[A l’été 2006, une herbe coupée aux microbilles et au verre pilé a fait
son apparition sur le territoire français. L’ajout de ces matières
dangereuses, à l’initiative de dealers souhaitant alourdir la marijuana
vendue et lui donner un aspect plus brillant, a causé au moins deux cas
de pathologies respiratoires sérieuses, tandis que de nombreux usagers
auraient connu des désagréments plus bénins. En matière de drogues
aussi (surtout ?), le capitalisme fait des ravages…

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