Dernière mise à jour le 26/07/2016 <!– by jewom –>
Liberation, le 7 avril 2008
Xavier Raufer est professeur à l’Institut de criminologie de l’université Paris-II. Il s’inquiète de ce qu’il appelle la «face noire de la mondialisation» et de toutes les atteintes à l’environnement qu’elle engendre.
C’est quoi, la «face noire de la mondialisation» ?
La chute du mur de Berlin a provoqué un énorme appel d’air sur la planète. Et soudain s’est profilée la face noire de la mondialisation. Le criminel n’a en effet aucune règle à respecter. Sa caractéristique principale est qu’il est opportuniste. L’ouverture brutale et incontrôlée des frontières et des marchés fut donc pour lui une incroyable aubaine. Il a été le premier à bénéficier de la mondialisation. Exemple : trois semaines après la chute du mur, il y avait de jeunes prostituées russes sur nombre de trottoirs d’Europe occidentale.
Quelles en sont les conséquences dans le domaine de l’environnement ?
La mondialisation criminelle s’est faite bien plus vite et avec plus de force que la mondialisation licite. Sur l’environnement, ça se traduit de plusieurs façons. Le trafic de stupéfiants, d’abord. Quand, au Pérou, un labo de cocaïne «fait le ménage», il déverse dans les rivières les produits chimiques – dont l’éther – servant à fabriquer la drogue (produire 1 kg de cocaïne exige 7 litres d’éther) ; l’écosystème est détruit, l’eau croupit et les épidémies surgissent. Cette industrie chimique illégale entraîne par ailleurs dans la région la destruction des forêts. Autre exemple : quand l’Afghanistan a commencé à produire de l’héroïne en masse, il y a eu explosion régionale de la toxicomanie ; alors qu’il n’y avait pas un héroïnomane au Pakistan dans les années 80, il y en a eu récemment jusqu’à 4 millions – donc un gros problème de santé publique. Autres conséquences de la mondialisation criminelle : les épidémies véhiculées par les trafics d’êtres humains (en Afrique notamment) et les infiltrations dans la finance licite. On commence à voir des entités criminelles tenter de s’immiscer sur le marché des permis à polluer pour blanchir de l’argent. Il y a aussi le pillage des ressources naturelles en Russie par une alliance informelle entre certains oligarques corrompus et des criminels. Enfin, les trafics de déchets toxiques. Exemples : la cargaison de détritus du Probo Koala – navire russe sous pavillon panaméen exploité par une société hollandaise -, déversée en Côte d’Ivoire, ou les déchets toxiques de Naples, qui contaminent la mozzarella produite dans la région et exportée dans toute l’Europe. Ces aspects de la mondialisation noire se renforcent les uns les autres. Et provoquent de très graves problèmes d’hygiène publique.
Détaillez-nous, avec votre oeil de criminologue, le cas des déchets de Naples.
Il est d’autant plus grave qu’il advient à nos portes, dans l’Union européenne. Parmi les trois grandes mafias italiennes (Cosa Nostra en Sicile, Ndrangheta en Calabre et Camorra à Naples), les camorristes ont la réputation d’être les plus inventifs. Ils ont ainsi trouvé un nouveau moyen de s’enrichir. Ils emportent un marché de destruction de déchets toxiques en étant les moins-disants, pour une raison simple : ils se contentent de déverser ces déchets dans la nature et de toucher l’argent. Or, dans nos sociétés, quand on pollue avec des matières toxiques (chrome, plomb.), il faut dépolluer. La même entreprise mafieuse soumissionne ensuite pour dépolluer ce qu’elle a elle-même souillé et (sans agir plus, bien sûr) touche une seconde fois le jackpot ! Le résultat est tragique. Dans la Campanie [région de Naples] rurale, certains cancers des enfants ont augmenté de 400 %, car des métaux lourds très toxiques, remontant à la surface des sols, ont contaminé les cultures, puis le lait des vaches.
Personne ne fait rien contre ça ?
La prise de conscience est difficile. A Naples, ville très pauvre, c’est la Camorra qui, souvent, trouve du boulot aux jeunes. La population voit donc plus les bénéfices immédiats offerts par «sa mafia», que ses crimes, même épouvantables, plus lointains.
Et au niveau mondial ?
Sur les 141 pays en développement, une trentaine (dont 20 en Afrique) ne maîtrisent rien – l’environnement encore moins que le reste. Les autorités de ces pays ignorent ce qu’il advient à 10 km de leur capitale. Ensuite, dans une démocratie, les autorités ne bougent vraiment que quand l’opinion s’agite. Et là, ce n’est pas mûr. Les pays développés se mobilisent peu, car ils sont encore peu affectés par les crimes à l’environnement perpétrés au Sud. Et ces sujets ne permettent pas le show-biz, il faut aller dans le dur. Mais il faudra un jour un protocole mondial de lutte contre les crimes à l’environnement. L’ONU a conclu diverses conventions mondiales anticriminalité : en 1988 sur les stupéfiants et en 2000 (à Palerme) sur le crime organisé. Cette dernière procure à tous les pays une sérieuse boîte à outils pénale, permettant une répression plus sérieuse du crime organisé à l’échelle mondiale. On pourrait donc imaginer un additif à la convention de Palerme sur les crimes à l’environnement. C’est ce que craignent les criminels au niveau mondial : l’extradition, puis une lourde peine de prison sur le lieu effectif de leurs crimes.