« Nous défendons le droit à la fête »

Dernière mise à jour le 30/08/2020

Entretien de Techno+ parue dans le Journal du Centre le 29 juillet 2020 suite la tenue de deux rave-partys en quatre mois dans la Nièvre sur fond de crise sanitaire COVID 19.
Source : https://www.lejdc.fr/nevers-58000/actualites/deux-rave-partys-en-quatre-mois-dans-la-nievre-sur-fond-de-crise-sanitaire-nous-defendons-le-droit-a-la-fete_13816918/

C’est culturel. Pour la tenue de fêtes électro, organisateurs et État jouent au chat et à la souris : effet de surprise contre arrêtés préfectoraux. Décryptage avec une association historique de participants aux rave-partys.

Sûr que Sylvie Houspic, préfète de la Nièvre, n’a pas « kiffé » la surprise. Elle a tellement peu goûté la « teuf » de Saint-Parize-le-Châtel des 12, 13 et 14 juillet que ses services, afin, selon les termes d’une chargée de communication, « de disposer d’une base juridique pour agir », ont pris des arrêtés d’interdiction de rassemblement ainsi que de circulation de véhicules avec matériel de son pour les week-ends du 17 au 20 juillet, du 24 au 27 juillet, et aussi du 31 juillet au 3 août.

Entretien sur le phénomène des rave-partys avec Fabrice, volontaire de Techno +, association de participants des free parties.

La réaction préfectorale nivernaise vous semble-t-elle proportionnée ?
Trois week-ends consécutifs d’interdiction préfectorale de rassemblements festifs à caractère musical, c’est plus que rare ! Mais on n’est pas surpris et on comprend. C’est une façon de signifier aux teufeurs :

« On a eu notre part, maintenant allez voir ailleurs ! » 

Mais ça n’empêche pas les fêtes, ça déplace le phénomène sur d’autres territoires !

Toutes les préfectures réagissent-elles de la sorte après de tels rassemblements ?
On est davantage confronté à ce type d’arrêté quand on s’approche d’une date habituelle. Avant le 1er mai, moment traditionnel de festivals de musique techno, les préfectures qui ont déjà eu des teknivals sur leurs territoires interdisent le transport de matériel de sonorisation sur ce week-end et/ou interdisent des rassemblements festifs.

Quel type de relation avez-vous eu avec les services de l’État dans la Nièvre à Saint-Parize ?
Nous avions très peur d’une grosse répression de l’État, à cause du contexte Covid. L’événement aurait vraiment pu être montré du doigt, s’ajoutant à la répression habituelle. Or dans la Nièvre, nous avons vraiment eu une collaboration exemplaire ! La préfecture, le conseil départemental par le biais des pompiers et l’ARS ont permis une articulation sanitaire très rapide.

Je me souviens de situations passées où la posture de l’État avait augmenté le danger. À Saint-Parize, au contraire, tout le monde a été dans une logique d’accompagnement et de réduction des risques.

Un a priori est assez répandu : les teufeurs seraient tous des drogués.
Ce que vous énoncez est ce que je nomme le péché originel médiatique. Plusieurs choses se sont ajoutées pour mener à cet amalgame. J’en isolerai deux : l’animateur télé Christophe Dechavanne, au cours des années 1990, avait, dans son émission Ciel mon mardi, aggloméré la notion de rave-party avec celles de drogue et même de fascisme. Aussi et peut-être même surtout un article historique du journal l’Humanité, opposé au mouvement techno, qui, sans nuance en 1992 ou 1993, avait assimilé la techno à la drogue.

Pour autant, se droguer n’est pas rare dans ces fêtes musicales. 
Ce qui est vrai dans le milieu techno, c’est qu’il y a une consommation de produits psychoactifs, d’une certaine façon assumée. Ça fait partie de cette culture-là, au même titre que jazz et cocaïne sont liés, comme le rock and roll avec le sexe et la dope. Ce qui a fait nouveauté avec le phénomène techno dans les années 1990, c’est son côté assumé. La naissance de Techno + en 1995 et d’associations similaires en Europe est issue d’une volonté de ne pas faire l’autruche. Notre ambition n’est pas non plus de réguler le comportement des gens, mais d’informer et d’éduquer le public pour qu’il y ait le moins d’incidents possibles.

« La musique techno est affaire de passion, comme la peinture, le tricot, le football ou la course automobile. »

Où en est la fréquentation de ce type de rassemblement festif en 2020 ?
Le nombre de participants a beaucoup augmenté depuis les années 1990. La musique techno s’est complètement démocratisée. Aujourd’hui, beaucoup de sound systems et d’organisateurs sont plutôt issus des zones rurales où cette offre culturelle comble un manque.

Le nombre de free-parties est lui demeuré plutôt stable, environ 4.500 à 5.000 par an, estimations du ministère de l’Intérieur. Mais la plupart rassemblent moins de 100 participants, et ne rentrent pas dans le cadre légal (plus de 500 personnes) qui rend possible les poursuites.

Celle de Saint-Parize-le-Châtel était un bel événement avec, de plus, une qualité culturelle, musicale et technique indéniable. Tout ça dans un cadre strictement amateur. La musique techno est affaire de passion, comme la peinture, le tricot, le football ou la course automobile.

L’intérêt porté par les forces de police ou de gendarmerie à ces événements électro pose-t-il la question de la liberté ?
Oui, absolument. Le mouvement des free parties, un peu différent de celui des raves plus professionnel, défend l’idée de faire des fêtes dans des lieux hors normes. La notion de liberté s’exprime aussi dans la terminologie. Nous parlons de fêtes libres, car « free » était stigmatisé et trop connoté avec la gratuité. Nous défendons le droit à la fête. Il y a de plus en plus de normes et de contraintes, qui sous couvert de la sécurité de notre point de vue, favorisent un milieu professionnel et empêche complètement les pratiques amateurs.

Le grand écart de l’État face au « testing » des drogues sur site

Depuis les années 90, les associations d’organisateurs et de participants ont longtemps milité pour faire reconnaître un certain nombre de pratiques liées à la santé dans les fêtes électro auprès des consommateurs de drogue.

« Depuis janvier 2016, la loi, par le biais du code de la santé publique reconnaît l’analyse de drogues comme outil de réduction des risques et d’information auquel a droit tout usager de drogues », rappelle Fabrice.

La dangerosité est redoublée du fait que l’on est dans le marché noir, et que le consommateur ne peut s’assurer de la composition du produit qu’il acquiert. « En France, on est très en retard sur le sujet, du fait notamment du ministère de l’Intérieur très réticent à ce service de testing des drogues. De son point de vue, les associations de santé détourne le procédé analytique des douanes et autres services pour en faire un outil de prévention. Nos voisins européens (Néerlandais, Autrichiens, Espagnols, Suisses, Belges); avec qui Techno+ est en contact depuis longtemps – nous fêterons nos 25 ans cette année – sont très en avance sur ce point avec un réseau d’analyse plus dense et des analyses plus fréquentes. »

Santé et Intérieur, deux ministères aux intérêts divergents

L’écart se comble peu à peu. Techno+ est sur le point de mettre en place sur Paris un Drug Truck, avec participation de la ville. Un camion équipé d’un appareil d’analyses et de mesures des drogues, le même que celui qui a servi a Saint Parize, sera utilisé à différentes occasions à Paris, dans un contexte festif « mais aussi auprès de structures qui reçoivent des usagers de drogues car il y a de la revente et de la consommation dans la rue auprès de population plus précaires et plus vulnérables » .

Le rapport des associations de teufeurs avec l’État demeure « ambivalent. D’une part l’assurance maladie reconnaît des associations agréées. Techno+ est notamment financée depuis 23 ans par le ministère de la Santé. Mais au niveau des préfectures, c’est parfois très difficile d’être reconnu comme légitime à venir sur ce type d’évènement. Il arrive que nos équipes soient empêchées d’accéder à un évènement au prétexte de limiter l’affluence. Les services de l’État, parfois, encore comme des complices de la consommation de drogue. On rentre alors dans un jugement moral au mépris des lois françaises qui autorise des services comme les nôtres à œuvrer. – Une loi qui stipule également que la drogue est illégale. Un grand écart obligé. »

2 réflexions au sujet de “« Nous défendons le droit à la fête »”

  1. Bonjour,

    Je suis médecin addicto, je travaille depuis un moment en direction de la réduction des risques.
    J’exerce aujourd’hui loin de la métropole à la Réunion où la RdRD a toute sa place là aussi !!
    J’avais trouvé à l’époque en métropole (il y a environ 3 ou 4 ans de ça) une vidéo courte très bien faite sur les mélanges en teuf / soirée avec petite mise en scène, ça devait s’appeller quelque chose comme « drug mix », je ne la retrouve plus en ligne, j’aurais souhaité l’utiliser pour une soirée thématique sur les risques d’OD… auprès des usagers.
    Pourriez vous s’il vous plaît m’indiquer comment remettre la main dessus ?
    Merci encore pour votre aide et pour tout ce que vous proposez en festif, c’est top !

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