Chanvre. Enquête sociologique chez ceux qui rêvent d’autosubsistance et de fumette bio

Dernière mise à jour le 18/07/2016

Les résultats d’une thèse de sociologie sur le cannabis comme sociabilité festive des jeunes…

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Par Gros Marie-Joelle


mardi 3 juillet 2007

Un début d’été aussi
frisquet, c’est catastrophique pour toutes les cultures, légales ou
pas. Une pensée pour les cannabiculteurs. Eux qui bichonnent leurs
plantations depuis la graine qui va germer en février jusqu’à la
récolte à l’automne, ont peu de chance, cette année, de parvenir à
déguster leur production. «

C’est une année pourrie

», lâche l’un d’eux, éc?uré. Loin de vouloir faire l’apologie
de la culture du cannabis, il faut reconnaître à ceux qui se lancent
dans cette entreprise une certaine forme de courage. Pas dans la
version culture intensive qui va rapporter beaucoup d’argent. Non,
notre compassion va aux cannabiculteurs amateurs, ces fumeurs de joints
bio qui rêvent simplement d’autosubsistance et plantent sur leur
balcon, dans leur jardin ou dans leur penderie. 

 

Des cultivateurs
atypiques qu’un doctorant en sociologie rattaché à l’école des hautes
études en sciences sociales (EHESS), Julien Lefour, a choisi d’étudier
(1). Le chercheur travaillait à sa thèse sur les «

sociabilités festives
»,
très empreintes d’alcool, quand il s’est aperçu que les jeunes
qu’il suivaient ne faisaient pas que boire : un sous-groupe fumait sa
propre production. Claude Fischler, son directeur de thèse et
spécialiste de l’alimentation, l’a encouragé à creuser le terreau des
cannabiculteurs amateurs constatant qu’
«ils parlaient de leur production comme d’autres dissertent sur les vins».

 

 

Tendance «do it yourself»

 
Une affaire de goût, en
somme. A la nuance près que les cultivateurs de cannabis sont tenus au
secret. Inviter des amis à déguster sa fabrication n’est effectivement
envisageable qu’entre initiés, comme le confirment nos observations.
Cultiver son chanvre à soi, c’est affronter les risques de délation du
voisinage, comme les grincements de ses proches.
 
Clandestinité oblige,
difficile d’évaluer le nombre de cannabiculteurs : entre 10 000et 20
000 peut-être (sur 850 000 fumeurs réguliers). Ils ont en commun de
fumer depuis quelques années, et de s’être lassés de devoir
s’approvisionner auprès de gens peu fréquentables, ou de consommer du
haschisch coupé au henné ou au cirage. D’après le sociologue, leur
nombre devrait croître puisque la répression s’intensifie sur le
trafic. Mais aussi parce que la tendance correspond à l’époque, plutôt
portée sur le repli sur soi, le bio et le «do it yourself».
 
Le passage à l’acte
reste à ce jour le fait d’une minorité de fumeurs. Tout le monde n’a
pas la main verte. Malgré l’intense littérature sur le sujet (livres et
sites web) et les quelques boutiques militantes qui délivrent
d’excellents tuyaux, le découragement guette souvent le cannabiculteur
: la plante est fragile, les changements de pots au cours de sa
croissance périlleux, et l’ampleur de la récolte toujours aléatoire.
 
Vivre à la campagne
reste un atout : il est plus aisé de repérer un terrain où les plans
pourront s’épanouir à l’abri des regards. Seul vrai risque : se les
faire voler par d’autres amateurs, ou vandaliser. Cette «

culture outdoor

» semble cependant moins risquée qu’une
«

culture indoor

». Car en appartement, en cas de descente de police, difficile
de nier les faits. Produire de la drogue reste une activité passible de
vingt ans de réclusion criminelle. Même pour trois plants ? La sévérité
des juges varie d’un tribunal à l’autre.

 
Le chercheur confirme au passage
«

l’hypocrisie

» qui encadre la cannabiculture. En marge des échoppes
militantes, la plupart des enseignes de jardinage propose tout
l’équipement nécessaire à l’installation d’une serre tropicale à
l’intérieur un placard. Sans jamais nommer la plante concernée.
L’hydroponie a le vent en poupe. Elle permet de se libérer des aléas
météorologiques, mais perturbe les relations familiales.

 

Le partage du placard

 
En couple, elle crée
des tensions, les filles supportant mal de devoir sacrifier la moitié
de la penderie à l’obsession végétale de leur conjoint, surtout que «

ça

» sent fort et développe des colonies d’insectes. Et des
parents dénigrent l’engouement de leur adolescent pour ces travaux
pratiques qui ne rapportent aucun point en sciences et vie de la terre
(SVT). Une chose pourtant devrait les rassurer : le cannabis produit
artisanalement n’est pas excessivement fort. Son taux de THC (la
substance psychoactive incriminée dans les troubles mentaux de certains
fumeurs de joints) n’y est pas boostée comme dans une production
industrielle à visée mercantile. Notons cependant que les
cannabiculteurs amateurs ont souvent tendance à gâtifier : ils donnent
des petits noms à leurs plants, trop émus de les voir pousser sous
leurs yeux.

 

Cannabiculteur d’un
jour, cannabiculteur toujours ? Rarement. De mauvaises récoltes, un
emménagement dans un logement sans balcon, ou trop ensoleillé, ou avec
trop de vis-à-vis, ou avec quelqu’un de résolument allergique à la
culture, peuvent casser un élan. Le sociologue, lui, interroge: «

face au coût social et économique du trafic de cannabis, une
autoproduction, même réglementée, peut-elle être acceptable comme
solution de rechange

» ? Pas gagné.

 

 
(1) Laboratoire Cetsah (EHESS-CNRS). Etude publiée en 2006 dans le revue
Alcoologie et addictologie.

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