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Pour ceux qui vleulent en savoir plus sur nos cousins d’ASUD…
http://multitudes.samizdat.net/article403.htm
lundi 25 juin 2007
« Pour un 8 mg, je prends une pompe de 2 ml, j’écrase
d’abord le cachet, puis dans la cuillère je le mélange à l’eau en
remuant avec le capuchon de ma pompe. Je chauffe un tout petit peu
parce qu’il me semble que j’arrive à éliminer ainsi un petit peu de
l’excipient du cachet, l’amidon de maïs. Je chauffe à peine,
évidemment, parce que sinon ça gélifie et tu peux balancer ton shoot.
Je fais surtout attention au filtrage : je filtre avec un quart de
filtre de clope. Si j’ai une aiguille démontable, j’en profite pour
ajouter un deuxième filtre en coton entre la pompe et l’aiguille. Si je
compare avec certains potes qui mettent le cachet et l’eau dans la
pompe et qui se contentent de secouer pour dissoudre le cachet,
j’obtiens une préparation bien plus propre qu’eux. » [1]
Coco, Tankeurs de Subu, dans Asud Journal.
ALICE ? À quel moment et dans quel contexte émergent les premiers groupes auto-support d’usagers de drogue en France ?
FABRICE OLIVET ? Asud s’est créé en 1992. Pour les
gens, un toxicomane c’était quelqu’un qui rechutait en permanence,
quelqu’un de complètement irresponsable. Avec l’extension de l’épidémie
du Sida il y a eu un mouvement de panique des pouvoirs publics : il
fallait s’occuper des usagers car ils devenaient un vecteur essentiel
de contagion. C’est là qu’on a commencé à faire de la réduction des
risques. La première mesure date de 1987, avec le décret Barzac, qui
prévoit la mise en vente libre des seringues en pharmacie. La
substitution et l’auto-support sont venus dans la foulée : en 1992,
certains usagers de drogues commencent à s’intéresser à ce qui se
faisait à l’étranger en termes d’auto-support. Ils créent une
association et un journal de prévention.
ALICE ? Quels ont été les rapports entre Asud et les
institutions médicales, psychiatriques et policières ? Peut-on parler
d’une certaine identité « toxico » sécrétée par ces institutions, à
partir de ou contre laquelle s’est construite la figure de « l’usager
expert » ?
FABRICE OLIVET ? On a essayé de se construire contre cette image de toxico qui est un pur produit de la loi de 1970 [2]
et un pur produit du soin, puisque même l’étymologie du mot renvoie à
la maladie, à la maladie psychiatrique. Ça ne concerne pas seulement le
secteur du soin, c’est la société tout entière qui a produit cette
image. Le toxicomane a une connotation de malade chronique, le drogué a
une connotation de délinquant. Pervers et délinquant. C’est contre ces
deux images qu’on a essayé de se construire. C’est là qu’apparaît la
notion d’expertise de l’usager citoyen. Par ailleurs, les pouvoirs
publics savent très bien que l’usager a un savoir sur les techniques de
l’usage de drogue, c’est pourquoi, dans le cadre de la lutte contre le
sida, on nous a autorisé à exister en tant qu’association. Mais c’est
surtout la question de la citoyenneté qu’on a mise en avant. Il y a un
groupe belge qui s’appelle « Citoyen comme les autres » avec l’idée que
l’usager de drogue, mise à part sa singularité, n’est pas différent du
reste de la société. D’où ma difficulté à aborder la question de la
communauté. Pour qu’il y ait communauté, il faut qu’il existe une
différence objective. Je pense à ces noirs américains qui font des
groupes d’auto-support dans la communauté noire. En ce qui concerne les
usagers de drogue il n’y a rien qui les définisse objectivement, il n’y
a rien que des pratiques. La communauté d’usagers est essentiellement
le produit de la répression. Notre objectif est de lutter contre cette
répression et de rentrer dans un cadre de droits communs, avec des
droits et des devoirs. Ça fait un peu premier de la classe, mais
j’insiste là-dessus. Nous sommes une association loi 1901 et l’on doit
fonctionner dans le cadre de la législation française, y compris de la
loi de 1970, qui interdit l’usage de drogue : ce qui explique que dans
la charte de notre association est précisé que la consommation dans nos
locaux est interdite. Après, les gens font ce qu’ils veulent dans leur
vie privée. Pour finir, nous n’avons aucun rapport avec la police, sauf
lorsqu’un militant d’Asud, à titre privé, se retrouve au placard parce
qu’il s’est rapproché de la consommation de drogue d’une manière trop
visible. Je voudrais juste ajouter qu’au début de la politique de
réduction des risques, le secteur des soins nous â aidés. En 1993,
alors que Simone Veil était Ministre de la Santé, le collectif
« Limiter la casse » [3]
nous a permis une certaine impulsion. Depuis que la gauche est revenue,
un écart s’est creusé sur une question politiquement essentielle : la
reconnaissance de nos droits à consommer certains produits. On n’entend
plus parler les pionniers de la réduction des risques, ils ont un autre
discours. Maintenant, leur discours c’est : « Avant de changer la loi,
il faut convaincre la société de la nécessité de changer cette loi.
Donc, motus et bouche cousue sur la loi de 70 ». Nous, on ne peut se
taire sur ce sujet qui est un scandale permanent.
ALICE ? Quand tu dis nous, c’est qui ?
FABRICE OLIVET ? Nous, c’est Asud, association loi
1901. Certains nous disent qu’on prétend représenter des drogués et que
les drogués qu’ils connaissent ne disent pas la même chose. Évidemment,
on prétend représenter Asud, les gens qui adhèrent à Asud, et un
certain nombre de choses élaborées en commun. On n’a jamais prétendu
représenter tous les usagers, cela voudrait dire que tous les usagers
fonctionnent de la même façon parce qu’ils sont usagers. Par contre,
nous sommes tous des usagers et notre parole est une parole d’usager.
ALICE ? Quelles sont aujourd’hui les actions d’Asud ?
FABRICE OLIVET ? Asud n’est pas une grosse association.
C’est un journal tiré à vingt mille exemplaires. C’est douze
associations réparties sur toute la France. Les salariés représentent
une vingtaine de personnes à mi-temps. On essaie de faire une action de
réduction des risques et c’est pour cela qu’on est financé en province.
Les gens d’Asud en province donnent des conseils de prévention,
distribuent des guides comme le petit manuel qu’on a élaboré sur la
technique du shoot. Ce sont des brochures qui se placent sur un terrain
qui n’avait jamais été exploré publiquement : la technique du shoot. Il
a fallu que ce soit Asud qui le fasse. C’est pour cela que, sur la
question de l’expertise, je suis mitigé. C’est une expertise par
défaut, parce que le système de soins n’assume pas cet espace des
techniques des usages de drogue. C’est parce que les autres ne s’y
intéressent pas que nous on s’y est intéressé. Alors effectivement on
pose des questions d’usagers, c’est certain. Mais cette prévention
serait mieux faite si à nos questions répondaient des médecins, des
pharmacologues… Cette expertise est aussi un moyen pour être financés.
Elle existe tant que la loi ne permettra pas que le système de soins
remplisse ce rôle. Pour l’alcool, la réduction des risques existe de
fait. On a deux mille ans d’histoire avec l’alcool et les gens en
France savent comment gérer l’alcool… Sauf les alcooliques. Et cela
c’est du domaine de la maladie. Cela me permet d’insister sur le fait
qu’on n’a jamais prétendu qu’il n’y avait pas de gens malades des
drogues. Il y en a eu et il y en aura toujours. Mais on pense que c’est
minoritaire au sein des gens qui consomment de la drogue. La meilleure
façon de gérer c’est de pouvoir en parler… et en consommer.
ALICE ? Vous n’avez jamais été impliqué directement dans des dispositifs de soins ?
FABRICE OLIVET ? Si, mais encore une fois, par défaut.
Par exemple, le truc le plus énorme : il y a eu une salle de shoot
créée à Montpellier par Asud. L’idée était de réunir des usagers qui
puissent s’injecter dans un cadre sanitaire. Les usagers se sont
retrouvés seuls à gérer cette affaire… Ils ont fait ce qu’ils
pouvaient, en plus il n’y avait pas de produit injectable, c’était des
produits de substitution détournés. Cela s’est terminé par une
catastrophe : une overdose. Cette salle a été fermée. C’est vrai que
poser la question politique d’une salle de shoot, c’est génial, et
surtout que ce soit Asud qu’il l’ait fait. Ce qui est dommage c’est
qu’Asud se soit retrouvé tout seul sur ce coup. Depuis trois ans, des
usagers font de la réduction des risques, ils sont devenus des
professionnels ; Ils gèrent trois boutiques en France et elles sont
gérées comme d’autres le sont par des professionnels mais ce sont des
militants d’Asud, usagers et ex-usagers. Au départ, ces gens-là
n’avaient pas plus de compétences que d’autres.
ALICE ? Mais vous participez à une commission…
FABRICE OLIVET ? Oui, à la commission nationale des
traitements de substitution. Moi je me vois à la commission de
substitution comme un syndicaliste en tant que représentant d’usagers
de la substitution. Ça ne veut pas dire que je dispose d’un savoir
particulier, mais que je suis là en tant que représentant des
consommateurs. C’est bien qu’Asud assume cela. L’aspect expertise
sous-entendrait que parce que l’on est usager, on est expert. On s’est
rendu compte que la drogue en tant que produit n’intéresse pas
forcément les usagers : pour certains les histoires de drogue. Ils se
défoncent, ils repartent et ils ne veulent entendre parler de rien.
Parmi les usagers il y a une minorité qui s’intéresse à la question des
drogues en général. Au même titre qu’il y a des gens qui ne sont pas
des usagers et qui s’intéressent à la question des drogues. On peut
dire que dans ce cas, user des drogues, c’est un plus pour l’expertise.
Mais ce n’est pas ce qui fait de toi quelqu’un de compétent en matière
de drogue, pas du tout, cela te permet tout au plus de savoir poser les
bonnes questions.
ALICE ? On a utilisé le mot communauté, mais il
faudrait peut-être reparler de ce terme. Nous pensions que nous ne
pouvions pas ne pas considérer, d’abord, les substances en elles-mêmes.
Ne serait-ce que parce qu’elles permettent de considérer une certaine
communauté d’expérience induite par les produits, en deçà des formes de
sociabilité, d’échange, autour d’une consommation criminalisée… Est-il
possible alors de concevoir cette idée de communauté à partir de
laquelle peut émerger un savoir qui renverse les figures du toxico
fabriquées par les institutions ? Ne sommes-nous pas là dans un espace
où se noue la question du savoir (l’usager-expert) et sa dimension
politique ?
FABRICE OLIVET ? Cette question me permet de résumer
tout ce qui nous gêne dans cette idée de communauté qui contient en
même temps la question de la substance. La substance ferait presque
partie de nous. On a vécu dans le fantasme de la substance dominatrice,
c’est ça qui soutient l’image du drogué. Les gens seraient incapables
de résister à la substance. On dit : « la drogue arrive dans un
quartier et tout le monde devient junky ». Il n’y a rien à faire. On
dit : « le fléau de la drogue », comme la peste. L’être humain est
réduit au néant face à ce truc qui prend possession de lui. Alors que
nous pensons qu’il est toujours possible de gérer. Alors,
effectivement, plus il y a de répression, plus on a du mal à gérer
cette substance. À Asud, on pense que l’usager est maître de son
destin, c’est lui qui décide de se défoncer et d’arrêter. Évidemment ce
n’est pas très populaire, y compris parmi les usagers eux-mêmes. Tu
peux décider entre l’agrément absolu de prendre une drogue et le
désagrément absolu d’en prendre malgré la répression : la prison…
ALICE ? Des usagers, mais aussi des soignants, des
flics, disent : « autrefois, les héroïnomanes, c’était facile,
maintenant, avec le crack, c’est plus la même chose… » Qu’est-ce que tu
en penses, toi, de ces considérations sur le produit lui-même et sur
les effets qu’il provoque ?
FABRICE OLIVET ? La sociabilité du crack n’est pas la
même que la sociabilité de l’héroïne… mais même ça, c’est très relatif.
Il y a ceux qui fument occasionnellement du cannabis et ceux qui
prennent occasionnellement du crack. Dans vingt ans, s’il y a une
nouvelle molécule, les gens diront : « ah oui, mais ça c’était valable
il y a vingt ans, quand les gens prenaient du crack, maintenant tout
est changé… ». Au fond, c’est toujours l’humain qui choisit. Il y aura
toujours des hommes qui décideront de prendre des substances, par
contre ce qui fait mal c’est quand des hommes font du mal à d’autres
hommes, c’est-à-dire quand ils utilisent ce prétexte de la drogue pour
en réprimer d’autres. Une culture de la substance existe, par exemple,
chez ceux qui fument du cannabis. Pour eux, c’est bien la substance qui
est importante. Et pour eux elle est innocente. Elle est même plus
innocente que l’alcool (c’est ce qu’ils développent). C’est la
substance qui les domine mais cette substance est une bonne substance.
Et puis eux ils sont des millions. Et c’est ce qui me gêne dans le
combat uniquement cannabis : on ne s’occupe pas de la répression des
drogues, on ne s’occupe pas de la criminalisation des drogués : « le
cannabis devrait être normé comme l’alcool ». Ils ne disent pas « la
répression des drogues c’est mauvais », mais « il faut sortir le
cannabis de la répression ». Si nous allons vers une légalisation du
cannabis, c’est très dangereux, parce que la répression va être axée
sur nous. On recule de dix ans. Encore une fois, cela permet
d’illustrer cette opposition conceptuelle entre les gens qui raisonnent
à partir de la substance et ceux qui raisonnent comme nous, d’après
l’usage. Il n’y a pas de drogue douce ou dure. Il y a des usages doux
ou durs. Il y a aussi des usages doux de crack. Mes propos peuvent
sembler aberrants. Je suis conscient qu’il y a des gens qui se
retrouvent à cause du crack dans des états… difficilement
supportables ! Mais ce qu’il faut, c’est isoler ce qui leur pourrit la
vie : la prohibition qui rend cette substance très chère, le fait de
les laisser en tête à tête avec les dealers d’un côté et les flics de
l’autre. L’impossibilité d’avoir une information sur les substances.
Les gens qui vont mal avec le crack sont les gens les plus démunis,
ceux qui sont le plus incapables de se planquer. On ne pense pas au
cadre qui vient se faire un petit kif au bois de Boulogne. On voit
seulement le tapin qui, elle, est là en permanence.
ALICE ? Au-delà de la question de la dépénalisation et
de la légalisation, des conditions qui sont faites aux usagers
(précarisation, répression à outrance, marginalisation,
psychiatrisation…), penses-tu que les groupes d’auto-support peuvent
contribuer à créer une culture de la consommation moins destructrice et
plus partageable, y compris par les non-toxicos ?
FABRICE OLIVET ? Je suis entièrement d’accord au niveau
des termes. La réponse c’est oui. C’est l’objectif d’Asud : après la
guerre à la drogue, la pacification. On peut effectivement donner des
pistes. Comment mieux gérer les drogues. La meilleure des préventions
en direction des enfants, c’est de les informer sur les substances, de
ne pas leur raconter de conneries. Les enfants sont assez balaises pour
piger immédiatement. Si on les informait à l’école, comme on a pu le
faire sur la sexualité, sur ce que sont les substances, leurs effets,
sans masquer leurs effets positifs, on aurait une bonne prévention.
Parce que ce n’est pas n’importe qui, qui devient usager ou toxicomane.
J’utilise ce terme à bon escient parce qu’il y aura de toutes façons
toujours des toxicomanes. Des gens qui se rendront malades avec les
drogues, comme il y a des alcooliques. En tout cas il faut informer les
jeunes car, y compris ceux qui deviendront toxicomanes, ils vivront
d’autant mieux cette toxicomanie. La catastrophe sanitaire de la
toxicomanie c’est l’absence d’information. J’ajouterai quelque chose.
Souvent, les gens qui parlent de communauté et qui découvrent ce qu’on
fait à Asud, ça ne correspond pas à ce qu’ils attendaient. Tout comme
ceux qui avaient la vision caricaturale de l’usager en train de traîner
une vieille avec un scooter. Le fait de pouvoir voir des usagers
« normaux » permet l’identification. Ils se posent ainsi les mêmes
questions que nous. On en a marre à Asud de fournir pour la télé le
casting des toxicos. La télé qui veut toujours des témoignages bien
saignants. Et, là, les gens ne s’identifient pas, c’est le monde
terrible de la drogue, il n’y a plus aucune tolérance possible de la
part du public. On essaie de l’apitoyer mais ça ne marche pas du tout.
L’image d’un usager pas défoncé sert de vecteur d’identification et les
gens peuvent commencer à se dire : « où j’en suis par rapport à ça ? ».
On peut être le lien.
ALICE ? Ne crains-tu pas, avec la distinction que tu
fais entre toxicomanes (ceux qui sont malades de la drogue et ceux qui
gèrent) de reproduire à ton tour une nouvelle identité ?
N’exclurait-elle pas les premiers de l’espace de citoyenneté que tu
revendiques, de cette capacité à faire partager les savoirs et à se
poser comme experts, y compris de leur « maladie » ?
FABRICE OLIVET ? On ne veut pas se situer sur le
terrain de la maladie. On ne veut pas être expert de notre maladie mais
expert peut-être de notre pratique : là où je suis sûr d’apporter
quelque chose. La matérialisation de cela, c’est le manuel du shoot, on
y parle des pratiques, par exemple l’injection, pratique tout à fait
identifiée dans le temps et dans l’espace et qui ne va pas forcément
perdurer. Mais c’est une technique. C’est de l’expérience. C’est pas le
fait d’ingérer une substance qui transformerait : je n’aime pas cette
idée que c’est la substance qui donnerait le savoir. Nous, à Asud, on
donne des informations sur des pratiques. Par contre les effets des
produits peuvent être décrits objectivement : par exemple on sait que
l’héroïne te fait les pupilles en tête d’épingle mais ça ne dit rien
sur que le plaisir que te fait éprouver l’héro. Quand on parle du
plaisir on est dans le domaine privé : justement là où l’on ne veut pas
intervenir. C’est la répression qui a placé l’usage de drogue dans le
domaine public ; après être passé par la prison, les injonctions
thérapeutiques, c’est vrai qu’on peut parler de l’usager en termes
d’expert, mais malgré nous. On s’en passerait bien.