Derrière l’ivresse des jeunes

Dernière mise à jour le 26/07/2016

Les jeunes se contente plus de boire, ils se défoncent à l’alcool….

Source : LE MONDE
Date :29.03.08

Les jeunes (disons plutôt certains jeunes)
boivent comme des trous. Oh ! ce n’est pas tant
qu’ils consomment régulièrement (la consommation
régulière serait plutôt en baisse), mais ils
rechercheraient de plus en plus l’ivresse,
qu’importent les flacons. Un bon quart des
adolescents de 17 ans déclaraient avoir été ivres
au moins trois fois dans l’année en 2005. Ils
n’étaient qu’un sur cinq en 2003. Quant aux
accros (dix ivresses annuelles), ils étaient un
sur dix en 2005, + 50 % en deux ans.

Le truc qui monte, c’est donc cette "consommation
de la défonce", de jeunes gens par ailleurs
souvent très sobres en semaine, dans les soirées
de beuverie. Les alcooliers, à l’affût, l’ont
bien compris. Whisky-cola ou vodka-pomme, prémix
et alcopops, avec packaging fun et accrocheur, et
par ici la monnaie. L’heure est au binge
drinking, à l’ivresse rapide, qui conduit à la
prostration et au sommeil profond. A voir le mal
partout, on pourrait dire aussi : aux conduites
sexuelles à risques, aux traumatismes et aux
troubles respiratoires, au coma éthylique, et
parfois, au décès.

Pourquoi cette tendance ? Il y a quelques années,
des chercheurs de Toulouse disaient en langage
savant que les jeunes étaient d’abord motivés par
"la découverte des vertus d’oubli et de
dédoublement de soi par l’alcool", une façon
d’éprouver son corps et son esprit comme n’étant
pas à soi, autorisant des "inconduites"
corporelles et morales. Si c’est cela, il faut
dire que les jeunes Danois et Britanniques
éprouvent encore davantage les vertus du
dédoublement de soi que les jeunes Français,
voisins sur ce terrain des pays latins. Des
études européennes révèlent des ivresses six à
huit fois plus fréquentes au Danemark et en
Grande-Bretagne que dans l’Hexagone…

Il est tentant de rapprocher cette constatation
de celles consignées par Cécile Van de Velde,
sociologue ayant ausculté quatre jeunesses
européennes : danoise, anglaise, française et
espagnole (Devenir adulte, sociologie comparée de
la jeunesse en Europe, PUF, 278 pages, 27 euros).
A l’heure où la période qualifiée de "jeunesse"
paraît s’allonger, où l’âge adulte perd de sa
stabilité, marqué par un emploi morcelé et une
conjugalité vacillante, la sociologue a identifié
quatre modes d’entrée dans la vie adulte, liés au
contexte socio-économico-culturel.

Au Danemark, très dans l’air du temps et de
l’individualisme démocratique contemporain, on se
cherche et on se trouve avant d’être adulte, et
les politiques publiques facilitent cette longue
construction de soi en permettant une
indépendance résidentielle et des allers-retours
études-emploi tardifs. En Grande-Bretagne, on
s’assume et s’émancipe rapidement, plongé que
l’on est dans la vie active sous les coups de
boutoir d’exigences libérales, après des études
autofinancées. Ces deux modèles frappent par la
décohabitation familiale précoce (avant 20 ans)
qu’ils exposent. A l’opposé, en Espagne, la
logique d’appartenance familiale fait qu’on
attend, avant de s’installer – on dirait presque
: à son compte. Partir de chez ses parents
implique qu’on ait d’abord trouvé un emploi, une
femme ou un mari, puis un logement.

En France, note Cécile Van de Velde, les jeunes
vivent dans un entre-deux : une volonté, certes,
d’être indépendants (on dira plutôt autonomes),
mais tout en maintenant une dépendance parentale
(notamment financière, pour les classes moyennes
et aisées). Tout cela avec en tête de "se
placer". Car, tout est misé, investi, chez nous,
sur le diplôme et la formation initiale, qui
détermine de façon quasi définitive le statut
social. Boire, en ce sens, permet inconsciemment
à certains de l’oublier, tout en se rapprochant
des Danois qui se cherchent et des Britanniques
qui s’émancipent.

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